Ces soirées la

Édito | Jour 3 du Festival de Cannes

Organiser sa journée autour de la soirée. Prendre rendez-vous à l’autre bout de Cannes entre deux séances pour récupérer ses cartons d’invitation auprès de DJ Hobbs venu exprès de Paris ou dans les locaux de l’ACID, grands organisateurs de la soirée la plus prisée des invisibles de l’industrie, des petites mains qui œuvrent pour la distribution, l’exploitation et la critique. Car ici, ce sont des bouts de carton qui deviennent le graal de tout festivalier, quémandés jusque dans la queue du moment fatidique, comme des fumeurs sans feu. Pas d’email, pas de guest list, le retour d’un bout de papier dont on se saisit à pleines mains. 

Organiser sa journée pour repasser suffisamment tôt à l’appart et ne pas arriver le ventre vide, le teint blafard et se transformer en zombie ivre en présence de tant de têtes connues (que de nous). Partir en catastrophe en taxi car le bus tarde trop à arriver. Car même avec son billet assuré, il reste un dernier obstacle à surmonter, cette fameuse queue, étape incontournable d’attente anxieuse, pressée, à se chercher les uns les autres et à tomber nez à nez avec ceux qu’on ne cherchait pas et qu’on trouve à la place.

Les videurs commencent à faire rentrer. Les derniers membres du groupe arrivent inopinément pour se greffer à nous et doubler toute la queue. À la guerre comme à la guerre. À peine dévalés les escaliers, on se jette sur le bar tant qu’il est encore accessible, commande deux verres d’un coup pour éviter d’y refaire un tour cinq minutes plus tard. Non, pas d’alcoolisme, juste des flûtes de prosecco de la taille d’un shot. Mise en bouche pour avoir eu au moins une fois des bulles dans le séjour, même si pas aussi luxueuses que celles du champagne. Mais ça, c’est juste le temps d’atteindre le vrai bar, celui qui se cache au fond de la piste de danse, le bar à cocktails signatures. Jouer des coudes parmi la foule qui se fait à chaque instant plus dense, pour enfin pouvoir commander la  sacro-sainte liqueur, soit la bleue soit l’orange selon les goûts, servie sur un plateau (en bois, faut pas déconner non plus, ils n’ont pas le budget du Carlton). Des zestes zestés devant nous font office de strass et paillettes. L’attente se fait en bonne compagnie, anciens collègues, amis d’école. Le tout Paris cinéphile s’est donné rendez-vous à l’ACID. Même le DJ est un habitué du Reflet, café en face du cinéma du même nom, bien connu des gens en présence. La fête au village. Entre-soi bon enfant. Même Sophie Letourneur, égérie de l’ACID cette année, aurait eu des difficultés à rentrer cette année. Ce n’est pas la soirée des stars, à part celles de notre cœur.

La soirée bat son plein. Les cocktails font du love bombing. Doux au début, ils nous explosent tendrement la tête au bout d’une heure. Hurler à la mort les paroles de Toxic, Blue Monday. Croiser l’acteur du film dont c’est la soirée, interviewé quelques heures plus tôt, et lever son verre à sa santé comme si c’était le sang de la veine. Croiser un critique de son ancienne rédaction et fomenter de faire boire jusqu’à plus soif le rédac-chef à la soirée du syndicat du lendemain. Parler soirée, boire soirée, danser soirée, bousculer soirée, rentrer de soirée. Where is my mind résonne encore au loin. On la cherche toujours.

Sur le chemin  titubant, les amitiés se densifient. On prend soin des blessés (à la guerre comme à la guerre), on relève des chutes sur les barrières qui ne nous contiennent plus. On déborde, on tsounatomise. Arrivés bon gré mal gré à bon port, tard dans la nuit, tanguant sous la lune, on reprend notre souffle un instant autour d’une tisane et d’un texte qui traîne, en se racontant ce qui compte enfin vraiment, les tsounamis.