Hommes au bord de la crise de nerf

Édito | Jour 6 du Festival de Cannes

Alors que le festival s’ouvrait sur un film qui inversait le genre du personnage principal, l’homme dépressif devenant ainsi une femme en crise existentielle, plusieurs films des différentes sélections gardent cette dynamique première du court métrage duquel est tiré Partir un jour et mettent en scène des hommes en souffrance psychologique. Rarement traité au cinéma parce qu’elle ne ressort que bien trop souvent d’une argumentation pour hystériser les femmes, la dépression masculine s’installe sur la Croisette, qui a elle aussi versé sa larme de pluie vers 22h. Ce rapport romantique à la météo est au cœur de la mise en scène d’un film de la Quinzaine, Amour Apocalypse, réalisé par la Canadienne Anne Émond. Adam, quarantenaire célibataire, fou aux chien (pendant direct de la folle aux chats) qui est profondément triste sans trop savoir pourquoi, met sur le dos de la catastrophe écologique la source de tous ses maux. Toute l’imagerie qui mêle émotion et météo présente dans la langue française y est explorée : avoir un coup de foudre, une tempête sous le crâne, brûler pour quelqu’un, se prendre un vent (j’en ai encore beaucoup sous mon chapeau, la langue française adorerait être Miss Météo). La dépression masculine reprend donc ici les codes d’un romantisme généralement attribué aux femmes.

Ce qui interpelle, c’est qu’Adam écoute un podcast de développement personnel qui le projette dans un paysage de montagne enneigé et ensoleillé, motif repris dans un autre film d’Un certain regard, Urchin, premier film de l’acteur Harris Dickinson. Dans ce film, Mike est un SDF paumé dont l’errance est avant tout psychique. Lui aussi écoute des podcasts de méditation et de motivation (se répéter que tout va bien aller à haute voix, comme antidote de l’ordre de la prophétie autoréalisatrice) et il a lui aussi un lieu mental où il se projette pour se calmer, grande forêt humide. Pourtant, il avait plutôt l’allure du fuck boy aux antipodes d’une personne qu’on penserait sujette à la dépression. Autre retournement du cliché, les deux réalisateur.ices approchent la dépression masculine par détournement et réappropriation des codes de représentation, des-essentialisant à la fois l’homme a priori sans souffrances psychiques et la femme dont la souffrance est presque systématiquement hystérésisée : on atteint un juste milieu, en passant par l’empathie, et est-ce que ce n’est pas beau, de pleurer comme un nuage ?

Laurent dans le vent de Anton Balekdjian, Mattéo Eustachon et Léo Couture, lui aussi rejoint notre météo des affects, à commencer par son titre. Laurent atterrit dans les montagnes sans trop savoir pourquoi il est là (sur Terre). Il suit au gré du vent ce que la vie lui propose. Sa souffrance à lui est plus latente que chez les deux précédents, il semble presque dans les nuages, ignorant qu’il est tourmenté (cette belle langue française, toujours). Sa consolation à lui est aussi dans l’écoute, non pas de podcasts comme dans les deux autres films où les hommes sont tellement démunis et sans autres outils pour s’apaiser que du pré-enregistré, mais des histoires des gens du coin qu’il recueille sans trop les demander sur son parcours. Guérir sa souffrance par le récit, la fiction, les recevoir autant que les écrire. Mettre des mots en somme, pour enlever des maux. Et pour une fois, on donne une voix à ces hommes qui trop longtemps ont souffert de souffrir en silence. Pendant ce temps, il pleut sur le tapis rouge.