Critique | Kika d’Alexe Poukine | Semaine de la critique
La vie de Kika est un peu mouvementée, mais elle tient le coup : elle se donne à fond pour son travail d’assistance sociale, mais aussi pour sa petite famille douillette, son compagnon et leur fille, qui vivent dans un confort moderne (un très très bel appartement ??) à Bruxelles. Mais un jour, Kika qui court partout ne va pas assez vite, et se retrouve devant la vitrine en cours de fermeture du magasin où elle devait amener réparer le vélo de sa fille. Finalement le monsieur (Makita Samba) est gentil (mais désagréable), il la fait rentrer. Quel plus beau procédé pour matérialiser un amour naissant que celui de l’ellipse ? Un cut et ils se retrouvent au café à parler de Jean-Jacques Goldman, un autre cut et ils se retrouvent tous les midis pour manger et s’apprêtent à franchir le grand pas, celui d’un adultère des deux côtés, qu’ils feront dans un hôtel de passe faute de solution. Le cinéma aéré d’Alexe Poukine respecte ses personnages, il leur laisse une marge de liberté et de secret. Nouveau cut : ils vivent ensemble ; nouveau cut : le nouveau chéri est mort.
Aïe. Comment vit-on un deuil quand on est jeune mère ? Kika montre concrètement en quoi les structures pensent la vie autour du couple. Une jeune veuve, c’est d’abord une femme seule, donc une femme qui n’a plus assez d’argent pour payer son loyer et subvenir aux besoins de sa fille, sans compter sur l’endettement que coûte un enterrement. Au travail, les rôles s’inversent : sa collègue lui présente son propre dossier et lui montre en quoi elle aurait besoin d’être accompagnée. Son travail constitue peut-être l’un des développements les moins poussés du film, dans la mesure où elle est supposée être dotée d’un certain sens de l’empathie et d’une fine compréhension des structures, ce qui lui fera défaut par la suite (en jugeant l’un de ses futurs clients lorsqu’elle s’essaye au travail du sexe notamment).
SM changed my life
La plus belle idée de Kika consiste à faire passer le travail du sexe de l’image classique de la contrainte économique dans un premier temps, à un véritable outil thérapeutique capable d’accompagner le deuil qu’elle ne fera que taire par la suite. En montrant une femme rangée s’essayer à des pratiques peu courantes (la vente de culottes en main propre puis le sadisme sans pénétration à des hommes au physique extérieur aux standards de beauté). Il n’est pas courant de devoir insulter quelqu’un et le traiter de chien ou de sale merde pour gagner un billet, et Kika s’y prend comme elle peut, amusée mais surtout gênée de la situation.
Si la deuxième partie du film recentrée sur le monde du BDSM souffre d’une certaine lourdeur pédagogique, le film réussit quand même à présenter une certaine épaisseur dans ses situations, notamment lorsqu’il s’aventure dans des sentiers peu communs, tel ce client victime d’inceste qui remet en scène son trauma à l’aide de deux travailleuses. La situation est étrange, elle vire clairement au cauchemar pour Kika qui ne se sent pas capable de prendre un homme brisé dans ses bras. Mais c’est à cet instant que le film trouve à la fois sa scène la plus forte, mais aussi son plus grand défaut, un excès de scénario dans lequel Kika se voit obligée de ne pas comprendre ce client, alors que son parcours socio-professionnel lui murmure ce talent. Kika est un film-portrait pour le meilleur et pour le pire : un personnage qui se découvre sortir de la norme malgré-elle (en même temps qu’il révèle une actrice, Manon Clavel), mais aussi une trajectoire cadenassée à des intentions scénaristiques trop visibles. Pourquoi faire du BDSM une fiction prête à être consommée par le grand public plutôt qu’un grand documentaire sans concession ? Mais tant qu’il y aura des clients… les travailleuses auront raison de leur donner satisfaction !
Kika d’Alexe Poukine, en salle prochainement