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Critique | Highest 2 Lowest de Spike Lee | Hors Compétition 

Un pur produit new yorkais mettant en scène une communauté noire qui s’est largement embourgeoisée grâce à sa culture (musicale) devenue mondiale dans les années 2000, un remake d’Entre le ciel et l’Enfer (1963) d’Akira Kurosawa mais en remplaçant le génie du cadre du japonais par les tics bègues de l’américain, voilà le programme à peu près balisé de Highest 2 Lowest. Le film suscitait la curiosité pour son casting. Pas tant Denzel Washington, qui n’était jamais venu à Cannes, soit le même nombre de fois où il nous a intéressé dans un film grâce à l’originalité de son jeu, thèse d’ailleurs confirmée par ce nouveau rôle principal de partition qu’il joue pour une énième fois avec un réalisateur qui l’a déjà fait jouer tout autant de fois. Mais plutôt les nouvelles icônes du rap, égéries d’une nouvelle et jeune génération qui ne connaît sans doute pas le cinéma de Spike Lee : A$ap Rocky, Ice Spice, Princess Nokia… Le film ne brillait déjà pas, mais alors ce ne sera pas ses nouvelles têtes qui le sauveront : Rocky pourtant marketé comme une tête d’affiche doit apparaître dix minutes au grand maximum, tandis que les deux autres font office de gentilles figurantes dans des scènes anecdotiques. Alors il nous reste deux heures en tête à tête avec Denzel. Super.

Highest 2 Lowest présente un scénario limpide (un homme de pouvoir se fait kidnapper son enfant avant de comprendre qu’il s’agit de celui de son majordome, complexifiant la morale du riche qui était prêt à payer pour son fils mais pas forcément pour celui d’un autre), auquel un remake pouvait apporter son lot d’éléments singuliers. Ici, la principale nouveauté consiste à faire de l’homme au sommet un célèbre producteur de musique ayant fait carrière grâce au rap dans les années 2000, qui traverse aujourd’hui une crise existentielle. Au moins, cet état n’est pas statique chez lui, et offre deux virées en ville remarquables, à coup de courses-poursuites et bastons dans le métro, sans compter sur l’ouverture du film plutôt longue et belle en hommage aux bâtiments de la Grande Pomme (il doit être le premier à faire ça dans le cinéma américain), avant d’aller cadrer sur l’appartement luxueux de Washington, aka David King, l’homme aux meilleures oreilles de l’industrie du rap. Peut-être, accordons-lui le bénéfice du doute ! Mais le cinéaste n’a pas la meilleure paire d’yeux du cinéma : comme pour les rappeuses invitées, si vous veniez pour voir l’intérieur de l’industrie musicale, passez votre chemin. À la place, Denzel Washington hésite à payer 14 millions pour sauver un gamin qu’il connaît depuis toujours, et il acceptera finalement après qu’on lui a rappelé les risques de la cancel culture en ligne si Internet venait à apprendre qu’il n’avait pas payé pour l’enfant alors qu’il l’avait sorti pour le sien. Super.

Si le film n’a vraiment rien d’original, il n’y a qu’un coupable et ce n’est pas Kurosawa. Spike Lee continue encore aujourd’hui de nous assommer avec ses effets de montage qui font comme bégayer sa mise en scène, lorsque ses personnages se disent bonjour notamment, en montrant par deux fois l’accolade pour montrer les deux personnes coup sur coup. Spike Lee continue encore aujourd’hui de filmer son personnage fixe au centre de l’image tandis que le décor derrière recule. Son film fait véritablement office de Musée Grévin pour la communauté afro-américaine, et cette fois, au tour d’A$ap Rocky d’apparaître dans un plan signature du chef… Quelle triste idée que d’avoir cantonné le rappeur à un tout petit rôle, lui qui par sa voix (sa participation à la bande originale est très bonne), ses traits et sa prestance aurait largement tenu tête à Washington durant tout le film. Mais il y a quand même une volonté de ranger les choses à leur place. Ou du moins, de rappeler aux éléments externes au cinéma qu’ils ne sont pas du cinéma : quand Rocky a enfin droit à une belle séquence, c’est d’abord un long face-à-face avec Denzel Washington des deux côtés de la vitre d’un studio de musique, qui rappelle la supériorité de Washington sur Rocky, qui, lui, peut improviser trois lignes de rap. Spike Lee continue de faire du Spike Lee, Spike Lee ne cherche pas (plus ?) à progresser. Lui aussi s’est embourgeoisé depuis les années 1980. Super. 

Highest 2 Lowest de Spike Lee, le 5 septembre 2025 sur Apple TV+ (Super.)