Tu es le fils

Critique | Indomptables de Thomas Ngijol, 2025 | Quinzaine des Cinéastes

« Laisser la violence perdurer ou l’exercer soi-même » est le dilemme auquel Billong (Thomas Ngijol), commissaire de police à Yaoundé (Cameroun), dit devoir faire face dans l’exercice de ses fonctions. Exercice est bien le terme : faux thriller, Indomptables joue avec les codes du genre, non pas tant pour discourir sur le cinéma que pour faire jour sur la théâtralité performée par le policier qui s’octroie un rôle pour donner sens à ses actions.

Billong enquête ainsi sur la mort d’un de ses confrères policiers tué par balles à l’instant précis où une coupure de courant a plongé le quartier dans l’obscurité. Si le montage joue avec le spectateur en lui proposant les éléments du crime au coup par coup et le perd dans le dédale des ruelles, c’est pour mieux déjouer l’esprit de sérieux d’un professionnalisme impraticable dans un pays aux infrastructures hésitantes. L’absence de lumière n’est pas un indice d’un crime perpétré et préparé à l’ombre d’un recoin mal éclairé, mais ce qu’elle est :  une coupure de courant, qui empêchera plus tard dans le film de vivre un interrogatoire musclé de l’intérieur. Sans le feu des projecteurs, on sort du drame.

Trans-mission

Être ou ne pas être violent est donc le choix cornélien proposé à Billong qui y répond sans trop de difficultés, en arguant faire son travail de protection. Banalité de la banalité du mal qui a cela d’innovant que ce rôle de policier qu’il porte haut et fort prend le pas dans toutes ses interactions sociales, notamment sa famille. Sa femme, comme il le dirait lui-même, « dit les termes » en lui suggérant d’essayer d’aimer correctement ses enfants avant de vouloir les « protéger ». Sa fille quitte le foyer, oppressée, il l’observe de loin comme une cible que l’on traque et espionne, aspect renforcé par l’usage du zoom. Son fils a dit quelques gros mots au professeur qui tentait de séparer une bagarre, il propose la correction, avec sa bénédiction, au proviseur de son lycée, car s’il a mis son enfant dans son établissement, il devient par conséquent son père. Montage poreux : s’ensuit une remontrance paternelle, leçon de vie donnée à un suspect interpellé qui mène une vie de petits larcins. Pouvoir du père, père du pouvoir, le film s’ouvrait sur un premier sermon filial : « Tu sais comment est mort Marvin Gaye ? Son père l’a tué. » Tuer le fils.

Héritage et transmission, préservation du patrimoine traditionnel, tel est le devoir que s’arroge le représentant de l’ordre. Ordre présent dans le langage (appeler « papa » toute figure d’autorité), dans les gestes (tendre la main et ordonner « salue-moi »), pour faire face à la modernité considérée comme sauvage, qui ne « respecte » plus rien. « Mentir prend du temps, la vérité est rapide ». Et elle va beaucoup plus vite quand on la fabrique soi-même comme Billong, qui fait rejouer à son collaborateur ou à son suspect la scène du crime qu’il pense être la bonne. Alors c’est quand il met soi-même sa main à la pâte (ou au plâtre, pour refaire les baraquements de son village d’origine) qu’il finit par atteindre la vraie valeur de la tradition dans la modernité, celle de faire profiter le village dans le besoin des avantages matériels offerts par l’occidentalisation dans une solidarité organique, celle de la famille que l’on protège parce qu’on l’aime.

Indomptables de Thomas Ngijol, prochainement en salles