Avant que la couleur ne s’empare de tout

Critique | La Mort n’existe pas de Félix Dufour-Laperrière, 2025 | Quinzaine des Cinéastes

S’il fallait résumer en un mot La mort n’existe pas, ce serait choisir. Martelée à longueur de répliques durant près d’une heure et douze minutes, Hélène doit « faire un choix ». Aller jusqu’au bout d’un attentat armé contre de riches propriétaires, choisir de trahir ou non ses valeurs, abattre ou non une tête capitaliste pour le bien commun. Tout cela au nom de son individualité ? Après une première tentative où Hélène abandonne ses ami·es qui se font décimer, elle fuit dans une forêt, devenant alors un espace mental au service de ses réflexions et projections sur les possibles conséquences de ses choix. Elle y croise une nature qui s’éveille et qui va reprendre ses droits, des fantômes qui vont la guider dans son choix, mais surtout une de ces amies morte durant l’attaque, Manon, qui vient la hanter en lui proposant une seconde chance. Pas de caractérisation de personnages clairs, seulement une situation donnée par l’attentat qui ouvre le film sur des questionnements et concepts éthiques de la violence : Hélène va-t-elle aller jusqu’au bout de son idéal ? 

Pour son quatrième film d’animation, Félix Dufour-Laperrière continue de penser sa mise en scène comme lien tenace avec le vivant, ici la forêt. Dès les cartons d’ouvertures, ce sont des aplats de couleurs jaune rouge vert, d’où surgissent des traits, des lianes, une végétations, des visages, une naissance latente animée. Durant une séquence de monologue centré sur le visage du personnage de Marc, un mouvement de trait le fait vieillir et rajeunir dans le même plan. Ce sont des fleurs qui s’animent lorsqu’on les nomme : pensées, jonquilles, coquelicots. C’est un mouton tué par les loups qu’Hélène ressuscite en guérissant ses blessures et ses chairs meurtris par sa seule volonté. Cela reste une nature symbolique, abstraite, provenant de l’esprit de la protagoniste, mais dont Félix Dufour-Laperrière poursuit ainsi l’idée de Norman McLaren qui disait que « L’animation n’est pas l’art des dessins qui bougent, mais l’art des mouvements qui sont dessinés ». Mourir, c’est être immobile, au point mort, ce sont les statues dorées des animaux que conservent les propriétaires dans une grande serre. 

Si les réflexions philosophiques et écologiques sur l’importance d’agir pour renverser le capitalisme sont en soi radicales (kill the rich, littéralement), elles trouvent paradoxalement assez peu de chair et de corps dans les personnages, et les situations se répètent péniblement durant tout le long métrage. C’est là tout le paradoxe du film : les personnages sont des concepts sans réelle caractérisation, et le resteront pour le spectateur, au service d’une idée qui trouve son aboutissement concret (la nature qui reprends ses droits, et balaye des symboles capitalistes, tout comme des débuts de soulèvement du peuple après l’attentat d’Hélène) que dans les dernières minutes, au moment où l’on commence à quitter le film. Hélène et sa troupe ne seront qu’une entité de groupuscule écologiste vague, les propriétaires ne seront que des propriétaires, la forêt un réceptacle à un symbolisme lourdaud, rendant la fable assez manichéenne. La seule répétition qui fait finalement sens est la reprise de la séquence d’ouverture de l’attentat, dans laquelle Hélène choisit finalement de participer à l’attaque : le mouvement dans le cadre reste le même, mais les évènements changent au sein du plan, la variation et le déjà-vu coexistent ensemble. 

Cette séquence, qui emprunte au style visuel d’un jeu-vidéo, en rappelle un qui a marqué les joueurs des années 2010, Spec Ops : The Line (2012, 2K Games), qui proposait d’incarner un capitaine états-uniens en mission sauvetage dans un Dubaï dévasté par le sable, avec un système de moralité où le joueur est amené à choisir entre tuer ou non de potentiels ennemis, avec les conséquences que cela induit. Là où le jeu vidéo inscrivait ses personnages et sa narration dans une fiction elle-même ancrée dans une réalité potentielle (les nombreuses guerres interventionnistes états-uniennes), le film de Félix Dufour-Laperrière cultive le flou, l’abstrait. On est gagné par un sentiment de frustration : sur la promesse d’un métrage voulant célébrer la vie et le vivant par l’animation et le besoin d’agir, on a l’impression de n’en voir que sa pâle copie, au service d’une idée. Avoir une idée politique du monde, c’est pas mal, mais sur la longueur d’un film, on aurait préféré une révolution.


La Mort n’existe pas de Félix Dufour-Laperrière, prochainement en salles