Critique | Laurent dans le vent d’Anton Balekdjian, Léo Couture et Mattéo Eustachon, 2025 | ACID
On ne donne jamais de nom masculin aux tempêtes, mais celle-ci s’appelle Laurent et n’a d’impétueuse que la constance de sa tranquillité. Largué (littéralement) dans les Alpes, en plein été, Laurent (Baptiste Perusat) reprend son souffle (toujours littéralement) alors qu’il traverse un épisode de dépression sans accalmie dans un studio de la station de ski prêtée par la copine de sa sœur (Suzanne de Baecque).
« La solitude, c’est dur la première semaine » lui confie son nouvel ami Farès (Djanis Bouzyani), photographe (version hivernale et statique du portraitiste ambulant des plages), ramassé au bord de la route. Ce sont en effet des paysages désertés, sans âme qui veuille y vivre que Laurent parcourt de long en large et de travers. De travers car Laurent se laisse porter au gré du vent jusqu’à ce qu’il croise des ombres dans la pénombre, les hors-saisonniers qui vivent sur les sommets toute l’année. De travers car Laurent est ce genre de gars qui accueille toutes les formes d’amour qu’on lui donne et les rend sans rechigner. Comme il rend les coups à l’enfant capricieux du cours de ski qu’il finit par donner l’hiver arrivant sous le regard ébahi du parent envahisseur.
Les saisons passent mais pas Laurent. Autour de cafés, tisanes ou de la gnôle maison, il lie des amitiés avec ceux qui se sont laissés installer par la montagne, en buvant leurs paroles : Santiago (Thomas Daloz) et son obsession pour les vikings, Sophia (Béatrice Dalle) et sa vie antérieure en Amérique du Sud, Lola (Monique Crespin) et son désespoir isolé. Les saisons passent mais les hors-saisonniers sont restés dans le jeu de l’enfance, celui qui leur laisse suffisamment d’espace pour ne pas s’embarrasser d’un langage emprunté, pas à eux. Arborant peau de renard et épée pour hurler dans l’oreille de la vallée, fumant et buvant parce qu’ils ont « arrêté d’arrêter » ou mangeant les pissenlits par la pistille, chacun vit ses exubérances au rythme de leurs désirs assumés.
Histoire du soir
La nuit est un moment privilégié pour la caméra qui saisit des silhouettes qui se fondent avec leur environnement, qui prennent corps par la présence de celui des autres. La montagne est belle mais les trois réalisateurs lui préfèrent le bitume des routes qui montent à la station, la morosité de la boîte de nuit ouverte les soirs de pistes, les immeubles vides à l’architecture pseudo-folklorique, les murs crasseux de chez Lola et ses chaises de jardin en plastique blanc.
Et si Laurent tente bien de revenir à la civilisation pour retrouver sa sœur, il appartient déjà à la montagne, déjà devenu une histoire du coin que Lola aurait pu raconter sur un ermite de passage qui a laissé derrière lui une chapelle, ou la brebis magique égarée que le berger local passe son temps à chercher en faisant résonner son nom dans toute la vallée avec son accent à couper au couteau (comme les loups, selon lui). Car Laurent est un tempête dans un verre d’eau de vie, et personne n’en fait toute une montagne.
Laurent dans le vent d’Anton Balekdjian, Léo Couture et Mattéo Eustachon, prochainement en salles