Édito | Jour 1 du Festival de Cannes
Début de Festival ambivalent. D’un côté, un coq français gonflé d’air qui a raflé toutes les ouvertures de sélection : L’Aventura et Enzo pour l’Acid et la Quinzaine (les deux plus franches réussites de ce début de Festival), Promis le ciel (en partie francophone) et L’intérêt d’Adam pour Un Certain Regard et la Semaine (c’est plus compliqué). Le Festival de Cannes renvoie donc une image où les premiers jours seraient presque exclusivement dédiés aux français (que comprend un étranger de Partir un jour, film d’ouverture de l’Officielle, et en quoi avait-il besoin de voir ce film ?). De l’autre, un début de compétition très compliqué et même repoussant, où l’on se dirait bien que ce n’est pas grave de rater les films si on n’arrive que le lendemain : Sound of falling de Mascha Schilinski et Deux Procureurs de Sergei Loznitsa. Bien évidemment, c’est une grossière erreur, car par-delà leurs carapaces qu’il est très facile de caricaturer, il faut encore voir et distinguer ce qui fonctionne ou pas dans ces films. Ce n’est pas si simple, et nos textes proposent d’éclaircir le tableau, malgré la vitesse d’écriture due au rythme cannois.
Il semblait quand même nécessaire de revenir sur ce choix de double programmation, bien qu’elle ne s’explique pas forcément que pour des raisons esthétiques (les équipes de films ont peut-être demandé certains créneaux, d’autres ont pu être validés plus tôt, etc). Sound of falling et Deux Procureurs ont tous deux en commun de présenter une personne amputée vivant dans le passé en Europe de l’Est dans un format 4:3… Sacrée coïncidence ! Mais alors ces films de l’est, ils valent quoi d’abord ? De manière largement consensuelle à la rédaction, Sound of falling déçoit tout d’abord par l’échec de conséquence de sa forme. Tout en variations et répétitions, le film supposé dresser le portrait de quatre générations de femmes allemandes du siècle passé ne laisse jamais infuser les éléments externes à la maison familiale. Nulle trace de politique ou du temps qui passe dans le film, voyez plutôt des bouclettes d’or sur différentes teintes, la répétition de motifs vains (pulsion de mort, regards caméras accusateurs, morsures, jeux de bourdonnements sur le son…). Ce n’est donc pas l’écart avec la narration qui dérange (un autre film de réalisatrice présenté plus tard en Compétition propose un film à la forme sensiblement similaire, mais de manière bien plus convaincante), mais surtout l’impossibilité de pénétrer le film, Schilinski se faisant gardienne jalouse du mystère de son film.
Une montée des marches de Tom Cruise plus tard (dont on parle encore peu, puisque le film a droit à une séance de gala et à peine une rediffusion le jeudi matin à 8h30…), Sergeï Loznitsa présentait à son tour Deux Procureurs. Adorateurs de son travail de longue date, nous étions curieux de découvrir son retour à la fiction accompagné par Saïd Ben Saïd à la production. Prenant pour sujet l’impossibilité de la vérité en régime totalitaire, un sujet intemporel, Loznitsa reprend les plus belles qualités de son cinéma documentaire pour les injecter dans le parcours de ce jeune juriste bientôt malmené et broyé par son propre système. En ce sens, il fait ressentir l’attente (en multipliant les sas et les décors) durant les 45 premières minutes, et filme ensuite un échange entre un homme victime des purges staliniennes et cet innocent procureur, naïf et beau comme un ange. Ce sont déjà parmi les plus belles images de cette édition, dont la fiction permet au cinéaste d’enrichir la composition de ses plans.
La séquence où le prisonnier doit brûler un immense tas de preuves à l’aide d’un tout petit poêle bouleverse et fascine par sa durée, la précision des lignes qui découpent le plan. La lumière qui redonnera un brin de lueur au procureur à l’écoute du prisonnier puis des hommes dans le train retour à la fin du film, figure également parmi les découvertes réconfortantes de ce début de Festival. Comme quoi, l’austérité n’est pas austère en soi. Il suffisait de la laisser entre de bonnes mains…