Journal intime

Critique | Romería de Carla Simon, 2025 | Compétition (SO)

A quoi servent réellement les films ? À se souvenir ? À immortaliser ? À réinventer ? Pour Carla Simon, le cinéma est le vecteur de sa frustration : donner corps aux images du passé qu’elle n’a pas connues et qui demeurent irrésolues. Utiliser le médium pour comprendre d’où elle vient, qui elle est. Troisième réalisation mais première fois en compétition cannoise, Romería est le film le plus intime de sa réalisatrice et inspiré de son propre vécu : elle perd ses deux parents lorsqu’elle a trois puis six ans, tous les deux morts du SIDA. Marina, jeune adulte, revient à Vigo en Galice où vit la famille de son père et les amis de sa mère, afin d’obtenir un document officiel lui permettant de poursuivre ses études supérieures. Ce voyage –  un retour en terre presque natale – est l’occasion pour la jeune fille d’interroger son passé et celui de ses parents, d’imaginer la vie d’avant ce drame liminaire. Une plongée à l’intérieur de la mémoire et de ses rêveries fantasmagoriques, modelée sur du fragmentaire (nécessairement), du rafistolé. En résulte un film qui recèle de nombreux secrets mais qui peine à s’épanouir au prix de son opacité. 

Film dans le film, Marina, caméra à la main, documente ce qu’elle voit, ce qu’elle rencontre. «  C’est dans cet immeuble que vivaient mes parents ? ». Le voyage est l’occasion de mener une enquête. En fond, dans les oreilles, en voix-off, le journal intime de la mère décédée relatant ses aventures avec son père sur un bateau. Une traversée sur l’Atlantique qui accompagne la jeune fille dans son voyage familial, le passé entremêlé au présent. Romería, littéralement le pèlerinage des croyants jusqu’à Rome (le film est chapitré par des locutions semblables à celles de la Bible), impose l’administratif comme prétexte pour se retourner vers son passé, écrire son histoire. Que trouve-t-elle ? Les paroles rapportées des amis de sa mère qui disent qu’elle est « son portrait craché ». L’argent de la famille de son père – Marina a été adoptée et elle apprend que ses grands-parents paternels ont caché son père malade à Barcelone – comme dédommagement ou réparation. Une robe rouge donnée par une tante, tranmission et appartenance à une famille qui lui semble pourtant étrangère. Ce qui frappe, c’est le caractère solaire, positif, joyeux de Marina dans toutes ces séquences, malgré le contexte morbide de ce voyage. Une pérégrination, presque un road movie, l’été, sous le soleil. Pas de tristesse du passé mais espoir du futur.

Si la première partie du film est le récit d’une chronique, une histoire sans histoire assez statique et bavarde, s’opère alors un vrai virage lorsque l’on pénètre l’imaginaire de la jeune fille dans la deuxième partie de la narration. Métaphoriquement, Marina emprunte une échelle et monte au-dessus du toit d’un immeuble. De là, elle retrouve son père et sa mère, aussi jeunes qu’elle, et qu’elle imagine vivre ce que le journal intime raconte. Leur traversée jusqu’au Pérou, leur amour sur la plage entre les algues, leur addiction à l’héroïne qui contaminera leur sang et les rendra malades. Imaginer et revivre les erreurs de ses parents avec une grande douceur pour s’en libérer, pour les exorciser. Incarner ces souvenirs par le rêve, comme si on les avait vécus soi-même. Marina est la fille de personne et la fille de tout le monde. Elle n’a pas d’attache, glisse sur les autres. Si Romería est littéralement le récit d’un pèlerinage, sa protagoniste est elle exempte de toute croyance, de toute appartenance. Elle obtient son document, elle fait plier ses grands parents (luxe bourgeois de refuser l’argent qu’il lui propose au profit d’une bourse universitaire). Elle n’a pas de parents, mais elle a le monde et sa liberté avec elle. Ses propres journaux intimes à écrire.

Romería de Carla Simon, prochainement en salles