Critique | Testa o croce d’Alessio Rigo de Righi & Matteo Zoppis | Un certain regard
Le film commence comme une vieille ballade, un conte populaire. Buffalo Bill rentre en scène devant le maire et la population romaine — il rejoue ses victoires contre le peuple indien dans une tournée européenne — une voix off instaure d’ores et déjà le cadre de l’histoire. La tradition orale prend place. Mise en scène qui rend hommage aux westerns spaghetti du siècle passé, l’introduction du cowboy apparaît déjà comme datée. Filmée sur pellicule, la grande toile de fond peinte dont il surgit, qu’il déchire, vient briser le fantasme des grands espaces américains — terre des libertés. Buffalo Bill rend visite aux Italiens pour les aider à mater la révolte des provinces et permettre l’unification de l’Italie. L’Amérique est imagée comme un simulacre, une utopie désenchantée qui s’exporte en Italie pour mieux imposer, sous couvert de progrès, une logique impérialiste et capitaliste — incarnée par la construction du chemin de fer, symbole d’un ordre nouveau fondé sur la vitesse, la conquête et l’uniformisation.
Rosa (Nadia Tereszkiewicz) apparaît, elle toise ce monde, l’observe depuis son corset qui l’empêche de respirer. On devine déjà qu’elle va s’en libérer, boutons par boutons. Une course de chevaux entre mecs s’organise – les Yankees contre les Italiens, que le meilleur gagne. Un beau cowboy, Santino (Alessandro Borghi), se prépare, choisi par le vieux et détestable mari de Rosa pour battre les Américains. Qui aura la plus grosse ? Qui tiendra le plus longtemps (sur le cheval) ? Rosa est intriguée par ce cavalier rustique dont les habits sont recouverts de poussières et la peau brûlée par le soleil. Il y a dans les regards de Rosa et Santino ce désir naissant des corps qui ne se sont pas encore touchés, deux jeunes âmes excitées. Le film évite tout rapport de force malsain et daté dans son approche à la sexualité et l’amour : le cowboy n’est ni un gros macho ni un violeur. Anachronisme volontairement progressiste : pas de séduction forcée, pas de domination masculine sous couvert de passion. Un mari tué pour s’émanciper. Désir réciproque, libre, égal. Le cowboy devient l’objet d’un désir assumé – c’est Rosa qui l’embrasse en premier lorsqu’ils s’échappent. Tendresse de la fuite à deux. Les corps s’effleurent, ni brusques, ni mécaniques. La caméra les capte avec pudeur dans la grange lorsqu’ils font l’amour. On éclaire les corps dans des incursions lumineuses, des vas et vient lents. Et, dans un fondu au noir alterné, les corps s’effacent. Santino garde son tricot de peau, Rosa est torse nu. Le corps nu et simple.
Veni vedi vici
Capturé car sa tête est mise à prix pour l’assassinat du mari de Rosa, Santino se voit libéré sans trop de mal par un groupe armé anarchiste. Inversion de la demoiselle en détresse qui n’est pas anecdotique : elle redessine toute la dynamique du récit. Car si Santino devient, malgré lui, l’icône de la révolte — son visage punaisé sur les arbres comme une figure christique et virile du soulèvement populaire, ce n’est pourtant jamais lui qui mène l’action. Le cowboy se fait instrumentaliser comme tête de la résistance — c’est son poster qui est punaisé à tous les arbres de la forêt, pas celui de Rosa. Elle est pourtant la vaillante qui abat le mari, elle s’échappe, assume son désir. La sainte ou la mère, Rosa choisit la putain. La putain libre.
Ce retournement des codes du western est d’une rare finesse. Le féminisme se niche dans la manière dont les corps sont filmés, dont les gestes sont distribués, dont le pouvoir circule — ou est refusé. Rosa ne parle pas beaucoup, elle agit. Ce silence, cette opacité, en font une héroïne puissante, insaisissable, à mille lieues des archétypes rassurants. Et pendant que Buffalo Bill, caricature dégonflée du mythe américain, se pavane en mythe vivant américain, Rosa incarne une nouvelle forme de légende. Pas viriliste, militariste mais une légende intime, amoureuse, insoumise. Elle ne veut pas conquérir de territoire, elle veut fuir avec celui qu’elle aime, protéger leur espace fragile contre les assauts du monde. La tendresse devient ici un acte politique. La fuite, une résistance. L’amour, une barricade.
Testa o croce d’Alessio Rigo de Righi & Matteo Zoppis au cinéma prochainement