Critique | The Phoenician Scheme de Wes Anderson | Compétition
L’idylle n’aura duré qu’un film et l’illusion seulement le temps de la première scène. Wes Anderson ouvre son histoire de machination financière co-écrite avec Roman Coppola par l’explosion impromptue d’un personnage dont le sang éclabousse l’intérieur de l’avion privé de Benicio del Toro. L’appareil est sans dessus dessous, des papiers volettent, il y a un trou dans la carlingue. La promesse est claire, le cadre que l’on connaît va exploser. Seulement, de bouleversement formel, il n’y en aura qu’un seul dans la suite du film, lors d’une scène de bataille entre Benicio del Toro et Benedict Cumberbatch, où la caméra est empoignée par les personnages avec leurs visages qui éructent filmés dans de très gros plans menaçants ; aussi le temps d’un trop court plan au steadycam, on aperçoit un peu du carton-pâte de Wes Anderson en trois dimensions. Le reste est déjà-vu, et ce ne sont pas les quelques variations dans la récurrence des motifs de l’auteur (rapport à la mort, familles dysfonctionnelles, le sang, la robotisation des acteurs, l’humour noir) qui convaincront de la même nouveauté dont il faisait preuve dans Asteroid City.
Une grande partie de la régression esthétique qui mine The Phoenician Scheme vient d’un scénario qui n’a ni le caractère aventureux d’un La Vie aquatique, ni l’ancrage et la force statique d’un Asteroid City. Ici, l’essentiel du film se constitue d’une suite de saynètes dont l’objectif est de convaincre des grands argentiers de remettre la main au portefeuille pour le grand plan diabolique de Benicio del Toro. La manière de dealer le pourcentage d’implication de ces derniers change à chaque fois (un défi de basket, un mariage, du sang, une bataille) et le tout fait bien vite plus mini-jeu façon Undertale que négociation tendue et haletante. Le film ronronne par cette répétition qui ne propose ainsi rien d’autre qu’une galerie d’acteurs piégés dans des situations où les dialogues sont débités à une vitesse qui ferait rougir Eminem – accentuant là aussi le ronronnement. On regrette le désert d’Asteroid City et les possibilités d’épure qu’il offrait à un système nourri jusqu’alors par le foisonnement et les couleurs. Le tableau impressionniste lasse car la trame narrative qui point par endroit, ludique côté machination, lourde et triste côté relation père-fille, est écrasée par un trop-plein thématique que la course en avant du montage n’aide pas à rendre intelligible – les bonnes soeurs, la finance, la figure du patriarche, l’amitié en affaire… La poésie est absente de ce dernier long-métrage car aucun temps-mort ne lui est ménagé. Il ne faudrait pas perturber le programme imaginé par Roman Coppola et Wes Anderson. A croire que s’acoquiner à nouveau avec cet ancien collaborateur (le dernier film qu’ils ont co-écrit était Moonrise Kingdom en 2012) fait rejaillir ses vieux démons.
Critiquer Wes Anderson, c’est comme préparer sa rentrée scolaire. On reprend le programme d’il y a deux ans, les élèves ont changé, on ajoute quelques exercices, mais ce qu’on raconte est sensiblement identique aux 15 dernières années. Les mêmes mots reviennent agencés différemment et c’est à se demander si attendre ou décrire un nouveau Wes Anderson a encore de l’intérêt, à part à y trouver une matière froide et universitaire qui contentera les plus studieux d’entre nous. Mais rien de nouveau ne sera dit avec The Phoenician Scheme.
The Phoenician Scheme de Wes Anderson, le 28 mai en salles