Critique | La Danse des renards de Valéry Carnoy, 2025 | Quinzaine des Cinéastes
Un match de boxe filmé en caméra épaule au plus près des coups et des acteurs. Du cinéma immersif, le nouveau jeune cinéma français ? Il en accumule cependant les signes : un milieu (le sport étude), un sujet (la prise de conscience du corps et des hiérarchies sociales), un acteur émergent mais déjà identifié (Samuel Kircher), une durée raisonnable (1h30). Pointe l’air de rien à l’horizon une dangereuse uniformisation du champ cinématographique francophone, imaginé en école et fabriqué grâce à des commissions qui ne demandent qu’à être rassurées et en appellent à la lisibilité des intentions. Où sont les premiers films de plus de deux heures, les cinéastes qui noient le poisson scénario et qui tordent le coup à l’anguille budget ? À mille lieux de ce complexe scolaire où ces jeunes hommes préparent les championnats d’Europe de boxe, on pense alors aux normaliens et autres étudiants en médecine de Desplechin qui n’eurent pas seulement un privilège de classe à travailler dans ces sections, mais aussi l’honneur de naître au cinéma d’une manière autrement plus inventive (et pourtant, il est passé par la Fémis !).
Mais une fois passé l’agacement du balisage de la forme de La Danse des renards, qu’en reste-t-il ? Un travail sur le corps, la peau comme lieu de l’impression physique d’une résistance mentale ? C’est vrai. Camille (Samuel Kircher) a tout pour devenir le futur champion français de boxe. Il prépare tranquillement ses combats avec son meilleur ami Matteo (Fayçal Anaflous) et leur entraîneur Bogdan (Jean-Baptiste Durand) ; mais un jour il frôle la mort en faisant une chute en nature. Soigné, il retrouve sa classe, mais rien n’est plus pareil : il ressent une douleur à l’avant-bras que la médecine ne saurait expliquer. Chaque coup envoyé ou match engagé semble chargé d’un poids nouveau, lourd. Peut-être qu’il se pose la question que ne se pose aucun champion : cela vaut-il le coup ? Se le demander, c’est avoir déjà abdiqué. Que reste-t-il alors à un vaincu dans un corps de gagnant ? De la complexité, des ambiguïtés. À la vue du sang qui coule abondamment du nez de son adversaire lors d’une compétition, Camille abandonne le match ; il se disqualifie lui et sa classe. Privilège du premier, privilège d’un corps blanc aussi — il n’y a pas de lien de cause à effet et c’est pour cela que ça frustre l’autre. Malédiction du premier de n’avoir plus rien ni personne devant lui sinon transcender la discipline (c’est-à-dire l’abandonner), malédiction de l’acteur aussi — il partage avec le sportif son outil de travail, son corps, qu’il est obligé de malmener pour recevoir des lauriers. L’autodestruction est le seul moyen de leur réalisation.
Corps adolescent professionnel
Si La Danse des renards souffre de nombreux passages obligés du coming of age (une relation amoureuse inutile et maladroitement greffée au récit, des hauts et des bas avec son copain de toujours…), il pâtit également d’une accumulation de couches et de réécritures scénaristiques perturbantes. À l’image de cette idée qui donne son titre au film, mais qui en restera au plan théorique : Camille adore voler de la viande à la cantine pour l’accrocher aux branches de la forêt voisine afin d’observer les renards s’approcher. Ce n’est même pas un symbolisme lourd, plutôt un faisceau de signes qui semble avoir été abandonné en cours d’écriture, et qui peine alors à trouver son plein déploiement sensoriel dans le plan. Et d’abord, pourquoi la viande et l’animal seraient une métaphore des épreuves que traverse Camille, pourquoi cette passion bizarre devrait-elle illustrer quoi que ce soit et donner son titre au film ? Aurait-il peur de cette étrangeté adolescente qu’il dessine en pointillé ?
Tous ces éléments hétérogènes permettent quand même à Samuel Kircher de déployer ce quelque chose de véritablement curieux, déjà présent en puissance dans L’Été dernier (Catherine Breillat, 2023). Une sorte de puanteur adolescente, une ingratitude qui n’en passe pas tellement par un physique difficile, mais plutôt par une ébullition des hormones qui touche autant au corps en mutation (cheveux graissants, musculature en développement) qu’aux désirs incertains : une attirance contre-nature pour l’odeur de ses chaussures sales par exemple. Adolescent de profession pour le cinéma, Kircher performe comme il faut ce rôle de sanguin en quête de contrôle. Trop ? Peut-être jusqu’à l’asphyxie de résurgences douteuses dans lesquelles il aurait pu proposer un véritable portrait de jeunesse, rendu sincère par l’assurance du pas de côté. S’il n’y parvient pas, il offre quand même à voir une disgrâce qui se marie bien à son jeu incertain (jouent-ils tous très mal ou touchent-ils à une excellence naturaliste ?), et dont on voit bien la portée, le devenir. Mais dit-elle plus quelque chose de l’acteur ou du personnage ? Question complexe et ambiguë. Dommage que toutes celles que posent le film n’aient pas cette même tenue.
La Danse des renards de Valéry Carnoy, prochainement au cinéma