À la recherche de l’Humanité

Critique | Mickey 17 de Bong Joon-ho, 2025

Après quoi court Bong Joon-ho ? Six ans après son magnum opus Parasite récompensé à Cannes et aux Oscars, l’annonce d’une nouvelle collaboration entre Bong Joon-ho et une grande société de production états-unienne pouvait provoquer une certaine inquiétude, le risque étant de diluer sa lecture anticapitaliste dans le divertissement hollywoodien (de toute sa filmographie, Le Transperceneige et Okja apparaissent comme ses films les plus faibles politiquement). Blockbuster pour la Warner avec un casting cinq étoiles, marketing qui vend une comédie d’action avec des affiches parodiant l’esthétique de l’ère soviétique, high concept du clonage comme satire capitaliste, Mickey 17 annonçait le retour d’un grand cinéaste qui n’a filmé peut-être qu’un seul motif durant toute sa filmographie : la mort au travail.

Mais s’il y a bien un sentiment qui marque lors de la longue exposition des  quarante premières minutes de Mickey 17, c’est bien une profonde tristesse. Vous pensiez voir une comédie loufoque sur un looser magnifique qui accepte littéralement de se tuer à la tâche ? Perdu. Entraîné par le triste et désespéré piano de Jung Jae-Il (fidèle compositeur de Bong depuis Okja), Mickey 17 est un Starship Troopers qui se réveille après une longue gueule de bois, et qui redécouvre la dure réalité qui est la sienne : un prolétaire qui a fait de la location de sa mort et la régénérescence de son corps sa nouvelle valeur au travail. Celle d’une humanité qui a échoué sur Terre, symbolisée par un plan large et terrifiant, où des milliers d’hommes et de femmes font la queue pour rejoindre une expédition colonisatrice de la planète de glace Niflheim, avec comme capitaine de vaisseau un leader mussolino-trumpien, incarné par Mark Ruffalo. C’est Mickey qui accepte, sans lire les petites lignes du contrat, le programme des Remplaçables. Au bout de huit films, Bong Joon-ho garde le cap d’une critique du capitalisme, dont le principal levier demeure une profonde mise en empathie avec l’opprimé, érigé au statut de héros – personnage principal.

Dis-moi Jamy, c’est quoi un Multiple ?

Bong Joon-ho avait expliqué qu’il était attiré par l’idée d’impression des Remplaçables du livre original (Mickey 7, Edward Ashton, 2022). Sans s’attarder ici sur les questions philosophiques ou éthiques de cette pratique, le film fait le choix de l’explorer de façon absurde et détachée. Bong et Pattinson ont préféré présenter le personnage du nom de Mickey 17 comme naïf et simple d’esprit, ce qui contraste avec l’intellectuel du livre. Le personnage est touchant par ses caractéristiques qui sont celles d’un employé d’aujourd’hui : peu qualifié, vacataire, précaire, interchangeable, et surtout dominé. La technologie « d’économie circulaire » ne change fondamentalement rien à la domination salariale, elle ne fait qu’illustrer de façon remarquable l’exploitation capitaliste d’une force de travail artificiellement renouvelée. 

Le concept de Multiples (Mickey 18 est imprimé alors que Mickey 17 ne meurt finalement pas, créant ainsi un double) conduit Pattinson à proposer une interprétation à la fois drôle et émouvante, car la réimpression de Mickey n’entraîne pas la reproduction du même caractère. Mieux encore, Bong ne tombe pas dans un manichéisme convenu qui oppose les deux versions de Mickey, à la Dr Jekyll/Mr Hyde. Plutôt, c’est grâce à l’égoïsme et l’insolence marqués de Mickey 18 que Mickey 17 va réveiller en lui une conscience de classe.

« Qu’est ce que ça fait de mourir ? »

Bong Joon-ho étale son univers à travers une narration touffue, constamment irrigué par la voix off du candide Mickey. Tel un oignon qu’on ne finit jamais d’éplucher, le film se donne à penser en permanence avec ses concepts de science fiction. Le cinéaste maîtrise toujours autant sa caméra et sa mise en scène, avec un souci du détail qui fait de chaque séquence un véritable vivier d’humanité : c’est un Mickey apeuré en voyant une caméra s’approcher de lui, c’est ce scientifique qui est sur son téléphone et ne voit pas Mickey en train de tomber de la machine, c’est Toni Colette en fasciste féministe qui se corrige elle-même en remplaçant « mankind » par « humanity ».

Et à travers cette narration et ses deux personnages antagonistes, Bong Joon-ho aborde frontalement la colonisation. Le caractère démesuré de l’entreprise étant appuyé par les performances de Mark Ruffalo et Toni Colette. Si la ressemblance avec le trumpisme a pu paraître anachronique au moment du tournage (le film faisant acte d’une défaite aux élections présidentielles), la récente actualité en France et aux États-Unis renforce la pertinente critique de l’inconséquence des responsables politiques : les clins d’oeils à l’actualité de ces derniers mois sont nombreux (la tentative d’assassinat sur Trump étant la plus troublante). Le film s’engage dans les enjeux de son temps, la survie de Mickey s’accomplit dans la défense des peuples autochtones et de la protection de la nature. La seule limite qu’on puisse pardonner au film serait dans l’entretien du mythe d’une colonisation possible, lorsqu’il y a une collaboration positive avec les populations autochtones. 

Le film, à plusieurs égards, s’intègre pleinement dans la filmographie de Bong Joon-ho. Sur la forme, il retrouve sa structure narrative qui lui permet de changer de genre en permanence : passer du drame à la comédie de travail, puis une rom-com, et à un film d’action plus prononcé sur son final. Sur le fond, il est indéniable que Bong Joon-ho est une voix qui continue de compter dans le paysage cinématographique, même lorsqu’il s’associe à un géant hollywoodien. Face à l’accélération de la déshumanisation, le réalisateur coréen répond avec un film qui éructe, vomit, jouit, tranche, qui se multiplie et qui n’a plus peur d’exploser en plein vol. Une véritable pulsion de vie, un film punk-vivant.

Mickey 17 de Bong Joon-Ho, en salles le 5 mars 2025