Critique | L’amour qu’il nous reste de Hlynur Pálmason, 2025
Cela commence sur la démolition d’une maison : filmée depuis l’intérieur d’une pièce vide, le toit est arraché lentement, faisant surgir l’extérieur dans l’intérieur. L’amour qu’il nous reste est donc l’histoire d’une famille. Ils sont cinq : une mère artiste en difficulté, un père marin pêcheur sur un gros chalutier, une fille, l’aînée, et deux garçons – les trois enfants sont d’ailleurs ceux du cinéaste. Ils ont aussi un superbe border collie du nom de Panda (lauréat de la Palme Dog au dernier Festival de Cannes), et un poulailler, avec un coq paraît-il agressif. Tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes en terre d’Islande, mais la famille est en réalité à l’image de cette première séquence métaphorique : le couple est en instance de divorce. Quatre murs abrités par un ciel bleu, est-ce que cela demeure un foyer ?
Le nouveau film de Hlynur Pálmason est à l’image de ses précédents, ouvert au monde et à toute sa trivialité poétique. La force de sa mise en scène réside dans la provocation d’une sensation très particulière : celle d’un film qui ne pourrait finalement jamais s’arrêter, et où le flux de vie continuerait d’exister après le cut final. Chaque personnage pourrait avoir un film entier qui lui soit dédié : l’arc des enfants qui fabriquent un mannequin de chevalier pour s’entraîner au tir à l’arc, tandis que les saisons défilent autour d’eux, a donné lieu à une excroissance sous forme de moyen métrage autonome, intitulé Joan of Arc, présenté au dernier festival de San Sebastian.
Pensé comme un kaléidoscope de séquences, de scènes, de points de vues, et même de plans s’étalant sur une année (le tournage en aura nécessité deux), L’amour qu’il nous reste rompt avec une narration classique et opte plutôt pour un film de sensation optique et sonore pure. Cela va des gros plans de découpe de poissons pêchés par le père, aux scènes de repas en famille, en passant par les larges plans de randonnées dans la nature islandaise. Si le plan est souvent large, et que le point de vue peut paraître omniscient, Pálmason reste toujours empathique à sa famille de personnages : chaque action relève de la banalité, et c’est dans leur enchaînement, leur cadrage, qu’elle en révèle toute leur beauté. Laver le chien Panda devient une séquence de réconfort pour la mère, après qu’elle ait passé une mauvaise journée en compagnie d’un galeriste imbécile qui n’a fait que parler de lui, au lieu de regarder ses œuvres.
A la différence du Scènes de la Vie Conjugale (1973) de Bergman ou de Kramer contre Kramer (1979) de Benton, la déchirure du divorce devient ici une intrigue naviguant en sous-marin, l’éléphant au milieu de la pièce surgissant par bribes, non pas par des actes dramatiques forts, mais par des actes manquées, ou des rêveries. Le père tue le coq parce que sa femme lui a demandé, sans réfléchir à savoir si l’animal était réellement agressif ou simplement normal. Il le fait parce qu’elle lui a demandé. La seule chose qu’il repousse est l’acte de signer les papiers du divorce, car cela serait déchirer définitivement ce qu’il reste.
Si son précédent film, Godland (2022) pouvait se rapprocher d’un récit de Conrad, par son travail du temps pensé comme souffle épique et mythologique, Hlynur Pálmason avec L’amour qu’il nous reste s’en déleste, pour se diriger vers la littérature de Woolf, tant le cinéaste semble revenir à ces quelques mots tirés des Vagues (1931) :
« Avec quelle rapidité le flot nous porte de janvier à décembre. Nous sommes entraînés par le torrent des choses ; et ces choses sont devenues si familières que nous n’apercevons pas leur ombres. Nous flottons sur la surface du fleuve. » (traduction de Marguerite Yourcenar)
L’amour qu’il nous reste de Hlynur Pálmason, en salles le 17 décembre

