Journal de bord | The White Lotus saison 3 (1/8)
Et si l’on essayait une drôle d’expérience tous·tes ensemble ? Huit semaines durant, nous serons des millions à travers le monde à suivre les aventures d’une troisième fournée de riches vacanciers·ères dont le séjour vire à la catastrophe. Manquant de place, manquant d’argent, la presse a déjà couvert la sortie de The White Lotus saison 3. Critiques publiées, affaire classée. Mais peut-on véritablement faire le tour d’une série en un texte ? Le tour de force de la série, quand elle est réussie, consiste justement en sa capacité à dilater le temps et fabriquer un lien avec son spectateur·rice à partir de multiples allers et retours. Pourquoi ne pas vérifier par nous-même et en temps réel ?
Alors cette année, on vous propose de suivre TWL3 avec nous, et profiter de la liberté d’un journal de bord pour déborder la question : que serait une critique satisfaisante dont la spécialité est la série ? ces images sont-elles comparables à celles du cinéma ? pour saisir avec rigueur la singularité de ce médium, vaut-il mieux prendre la série comme un tout ou plutôt en tant que somme d’un ensemble d’épisodes ? Le rendez-vous est pris dans un hôtel en Thaïlande, décor de la troisième saison de cette série HBO, devenue extrêmement populaire grâce à la performance de Jennifer Coolidge durant les deux premières saisons, (bien) entourée de stars du petit écran comme Sydney Sweeney (saison 1, passée par Euphoria) et Aubrey Plaza (saison 2, déjà vue dans Parks and Recreation). C’est donc avec un certain paradoxe que nous suivrons pour la première fois la série un épisode à la fois, lorsque celle-ci est à son sommet d’intérêt, mais aussi composée d’un casting sans tête d’affiche internationale, directement identifiable par le plus grand nombre.
Ce qui reste, ce qui change
Si Coolidge servait de liant entre les deux premières saisons, ce rôle incombe aujourd’hui à Belinda Lindsey (Natasha Rothwell), gérante du spa de la première saison mutée dans l’hôtel de la troisième pour apprendre de nouvelles méthodes et se remettre d’un certain « burn out ». Il s’agit d’une des rares références aux événements antérieurs pour le moment, la série préservant son format anthologique (une histoire indépendante par saison) pour des raisons à la fois scénaristiques et économiques. Pas besoin de voir les premières saisons = plus de spectateurs·rices ; ne sait pas que Greg Hunt (Jon Gries) était le mari de Tanya (Jennifer Coolidge) = aucun impact sur la compréhension globale de la saison. Malin, cynique.
Le principe, lui, reste le même : étudier quelques déviances bourgeoises exacerbées jusqu’à l’implosion par un cadre supposé travailler, au contraire, à l’apaisement et au bien-être. The White Lotus a pu être comparée à l’œuvre récente de Ruben Östlund pour la malveillance qu’elles portent à l’égard de leurs personnages, mis en scène dans des cadres qui reflètent le rêve capitaliste (un hôtel paradisiaque, un yacht…). Il y a du vrai là-dedans, à commencer par la pertinence à comparer deux auteurs : la série est toujours écrite et réalisée par Mike White seul. Pourquoi aime-t-on alors plus aisément la série aux films du double palmé ? La préservation d’un cadre réaliste contre le grotesque vomitif et survivaliste de Sans Filtre permet à la série HBO de créer un lien bien plus solide avec ses personnages. La richesse redevient un facteur de domination comme les autres, fondu dans les autres, agissant surtout comme miroir grossissant de bassesses quasi-universelles.
Pilot automatique
Lesquelles sont-elles ? Le pilot est là pour ça : présenter ses personnages comme à la rentrée des classes en septembre, névroses et déviances comprises. Ici, on voit s’esquisser une potentielle relation incestueuse entre deux frères, une jalousie au sein d’un groupe d’amies (l’une étant actrice pour la télévision), un père dans la finance qui risque de faire la Une des journaux pour une affaire professionnelle… Là où The White Lotus semble encore se distinguer d’autres critiques plus cyniques du système capitaliste, c’est dans sa réelle inclusion des classes travailleuses au scénario. Les membres du personnel sont développés comme les ultra-riches, soit une mise à égalité qui rappelle The Wire, série culte également développée par HBO faisant autant la part belle à la police qu’aux trafiquants surveillés.
C’est une dialectique qui porte ses fruits : les personnages, véritablement complexes, sont toujours traversés par plusieurs affects à la fois, et leur haut niveau de vie ne fait pas nécessairement d’eux des personnes égoïstes au premier abord. La vie est un petit peu noire, mais un petit peu blanche aussi… L’affect identitaire se retrouve d’ailleurs doublement travaillé dans ce premier épisode. Par Belinda tout d’abord, qui salue un couple de vacanciers racisés au restaurant, anecdote qu’elle rapportera ensuite à son fils au téléphone (la double explicitation d’une information n’était-elle pas interdite depuis 1896 ?). Mais aussi, de manière bien plus sournoise, par la membre du personnel interprétée par Lisa, chanteuse ultra-célèbre du groupe de K-Pop BlackPink, seconde à passer sur le petit écran de HBO après Jennie, vue dans The Idol. On pourrait d’abord croire à un racisme ordinaire dans le fait de lui faire jouer un rôle thaïlandais… avant d’apprendre que la chanteuse de variété coréenne est en réalité de nationalité thaïlandaise. Quelle drôle d’industrie que semble être la musique mainstream en Asie ! Mais aussi puissante et célèbre puisse devenir cette artiste de 27 ans aux 105 millions d’abonnés, la géographie mondiale ne se laisse pas tant perturber, et sa nationalité lui impose d’occuper un poste de servante auprès d’un casting bien moins célèbre qu’elle… Quelle sinistre industrie que l’audiovisuel !
Ce premier épisode se voit tout de même entrecoupé de passages obligés. Un drame incompréhensible en ouverture (une fusillade illisible), et dont les tenants et aboutissants se révèleront en fin de saison, un systématisme dans la présentation des personnages, immédiatement suivie du trouble salace qui constituera le cœur de sa construction scénaristique pour les sept prochains épisodes… Sur ce point, la série demeure cette forme verrouillée, et que même les auteurs accomplis semblent difficilement pirater. Alors il reste un plaisir certain à accoster sur l’île paradisiaque avec ces personnages en début d’épisode, de s’entendre dire « Bienvenue au White Lotus ! » et se re-re-reprendre au jeu du « mais qui va mourir !? ». Cahier des charges répétitif mais inesquivable ou présentation polie et maladroite ? Un peu des deux, mais Mike White nous a suffisamment confirmé la profondeur de son écriture pour voir en cette lourdeur un défaut éphémère, imputable au format sériel plutôt qu’au style personnel. La série n’est-elle pas cet art du reviens-y ? Ce serait n’avoir définitivement rien compris que de se fier aux premières apparences…
The White Lotus saison 3, à partir du 17 février 2025 sur HBO Max