Journal de bord | The White Lotus saison 3 (3/8)
Imaginez lancer une saga critique en huit épisodes sur une série phare du moment, avec la certitude de retrouver chaque semaine une écriture de haut vol et une mise en scène exquise, dont la précision prouve bien l’indéniable égalité de traitement que cette forme mériterait, au même titre que le cinéma. Maintenant, imaginez que vous en êtes au troisième texte parmi les huit prévus, et que vous n’avez déjà plus rien à en tirer, rien de plus par rapport à ce qui a pu être écrit la semaine passée. C’est là tout le problème de ce troisième épisode, qui a le culot de commencer par cette réplique, qui ne passe pas, même auprès d’une rédaction aussi bien nommée que la nôtre : « C’est le signe d’un tsunami »… Il serait peut-être temps car on l’attend !
Quand une promesse n’est pas tenue, il est alors légitime de se plaindre. Personne n’a mis un couteau sous la gorge de Mike White. Pourquoi faire rêver de grandes vagues destructrices quand rien n’advient ? Déjà trois heures d’engagement auprès de cette colo bourgeoise, et la mer reste calme. Les durées semblent d’ailleurs au cœur de l’épisode : le temps dilaté d’un rêve (l’introduction, qui laisse rêveur), le jet-lag médicamenté de Tim (le père de famille) et la difficile déconnexion pour la famille des appareils connectés… Que va-t-on bien pouvoir faire sans nos I machins ??? Décevante promesse donc, qui s’ouvre par un rêve abstrait, dont on se réveille difficilement et perturbé, qu’on tente, en vain, d’élucider au petit-déjeuner, entouré de sa famille mal aimée, malveillante. Le premier quart d’heure fonctionne : le ballet des vacanciers à peine réveillés, ces quelques regards furtifs jetés à la table d’à côté et la douce reprise des discussions de la veille entremêlées des nouvelles aventures d’aujourd’hui installent une atmosphère propre, fidèle à une telle situation. Mais il assoit aussi et définitivement l’inégal intérêt que l’on porte aux personnages : cette famille dysfonctionnelle est de loin la plus complexe et intéressante (le père manipulant les principes des femmes de sa famille pour esquisser l’idée de fuir la justice américaine : pas mal), suivie de près par Chelsea (Aimee Lou Wood), dont le trait de caractère devient celui d’échapper à la mort dans chaque épisode désormais. Mais quelle évolution cet épisode apporte-t-il par rapport au second, dont on a déjà déploré les cruelles insuffisances ?
Du serpent, mais peu de piquant
Imaginez une série qui a toujours su jouer avec le feu du désir, maniant l’ambiguïté comme un harpon, distillant tension et séduction avec un art consommé du trouble. Maintenant, imaginez que cette même série, au lieu d’attiser la braise, passe son temps à souffler dessus jusqu’à l’étouffement. C’est tout le problème de cet épisode, qui hésite entre suggestion et démonstration, érotisme et bavardage, et finit par s’égarer dans un entre-deux tiède où l’excitation pourtant recherchée, se dissipe au profit de dialogues sur la géopolitique et d’un chaos reptilien à peine assumé.
Où est passé ce frisson insidieux qui rendait les saisons précédentes si captivantes ? On cherche en vain l’ivresse toxique de Harper (Aubrey Plaza) et Cameron (Theo James), ces jeux de pouvoir où le désir affleurait sans jamais se laisser saisir. Ici le pari est tout autre : mettre en scène un beauf, Saxon (Patrick Schwarzenegger) face à Chloé (Charlotte Lebon). Une approche qui offre certes des scènes jouissives – il y a un plaisir indéniable à le voir patauger dans ses propres contradictions et méthodes (douteuses) de drague face à Chloé qui le traite de « beauf » et par leur échange de regards au dîner qui rappelle la mélodie des saisons précédentes – mais qui limite aussi la portée émotionnelle du récit. On s’attache moins à lui, on ne cherche pas à le comprendre, on veut juste le voir souffrir. Un affect peut-être plus immédiat, mais moins prégnant que la compassion trouble qui rendait les conflits précédents si captivants. Tout est plus explicite, moins vénéneux. L’érotisme devient un argument, plus qu’une sensation. Le trouble ne naît plus de l’interaction entre les personnages, de leurs regards équivoques ou de cette tension latente qui pouvait rendre un simple dîner aussi chargé qu’un jeu de séduction toxique. Désormais, le sexe est posé comme une donnée, un motif explicitement souligné par la narration. Les corps sont montrés, désirés ou non, mais sans cette subtilité qui laissait au spectateur la liberté d’interpréter, d’imaginer ce qui se joue réellement sous la surface.
Et si The White Lotus a toujours eu le goût du commentaire social, elle bascule cette fois du côté de la démonstration, reléguant l’intime au second plan. Il faut se contenter de discussions sur un vote pour Tr*mp, qui certes titille et laisse présager un éclatement dans les prochains épisodes, et l’état du monde pendant que les chambres d’hôtel, d’ordinaire théâtre de toutes les passions, semblent avoir perdu leur raison d’être. Le désir, cette pulsation souterraine qui faisait vibrer la série, peine ici à se faire entendre. Alors bien sûr, tout n’est pas à jeter : Belinda et Chelsea captivent, on se réjouit de voir les problèmes qui pendent au nez de Gary/Greg (Jon Gries) et Mike White sait toujours comment distiller le malaise. Mais entre une approche trop explicite du sexe et des dialogues qui vampirisent la tension charnelle, The White Lotus semble avoir perdu de son venin. Espérons que le prochain réveil sera plus mordant.
The White Lotus saison 3, à partir du 17 février 2025 sur HBO Max