Critique | Dahomey, Mati Diop, 2024
Il aura fallu 67 minutes à Mati Diop pour remporter l’Ours d’or à la dernière Berlinale. 4020 secondes pour restituer, par les moyens du cinéma, ce qu’il s’est joué dans la restitution par la France de 26 trésors royaux du Dahomey au Bénin en novembre 2021. Très peu d’images donc pour conserver une trace de ce geste diplomatique. Politique ? On verra comment, en quoi.
Choisir c’est renoncer dit le dicton, mais qu’en dirait le montage, pour le cinéma ? Il y a de fait, et c’est peut-être même le cœur de Dahomey, un fort souci de mise en scène du discours dans ce film. Dans un premier temps, un discours inventé : celui qu’auraient les statues elles-mêmes de leur propre situation. C’est à la fois magnifique et culotté de faire parler, avec autant d’aplomb, cette chose sacrée et inanimée qu’est l’objet de musée, avec une voix modifiée complètement dans l’air du temps (L’Empire de Dumont, présenté à la même Berlinale, recourt à ce même procédé). Mati Diop prolonge ici ce qui a fait la force de son cinéma de fiction, en donnant la parole aux lumpen-opprimés, ceux à qui on aurait même pas pensé dans un souci de progressisme (des morts qui reviennent, des statues). Par ce geste, la cinéaste ouvre une brèche quasiment sans-limites. Cette voix revient de loin : elle a parcouru un chemin périlleux pour sortir des entrailles de la statue, puis d’un logiciel qui l’a modifié artificiellement, pour enfin nous parvenir par l’intermédiaire de sous-titres. Cette voix, c’est celle d’une statue, d’un passé bafoué, et de millions d’autres personnes à qui l’on a pas encore pensé à restituer leur due dignité.
Mais soucieuse de collégialité (ou peut-être effrayée de la force du dispositif qu’elle installe), Diop partage la parole (la sienne, qui en tant que cinéaste, choisit de quelle voix présente nous garderons une trace) avec un ensemble de béninois·es, que l’on apprendra être des universitaires, invités au musée pour discuter de cette restitution. C’est bien pratique les universitaires : ils sont universellement pas d’accords, et passent leur temps à dresser la liste des avantages et inconvénients des choses auxquelles ils et elles réfléchissent. C’est donc bien pratique de filmer des échanges universitaires : on y fait entendre toute sorte d’opinion, le film s’élevant alors au-dessus de la mêlée en se faisant dispensateur de nuance. Par cette fausse bonne idée, la réalisatrice tombe dans une forme sans doute trop occidentale et scolaire, un dispositif qui, par essence, exclue : on ne peut pas tout dire (et encore moins en 67 minutes), et il manquera toujours l’avis des non-universitaires, du peuple béninois dans son ensemble, finalement plutôt absent du film. Dahomey, film politique ? Oui : un film républicain.
En raison de son hybridité, le film ne montre jamais assez. Il ne montrera jamais assez de débat au sein d’une pseudo agora-représentative du peuple (Dahomey, mauvais film documentaire) ; partie du film qu’il monte au détriment de l’invention fictionnelle de ces statues parlantes (Dahomey, essai frustrant), ou encore des séquences dont l’anecdote révèle toujours quelque chose de signifiant sur le sujet filmé. Ce sont les plus révélatrices, et donc les plus belles du film : des Blancs qui disent comment les Noirs doivent travailler, le personnel de sécurité du musée au Bénin qui regarde les statues et par extension, découvre les vestiges de son histoire, un jeune qui plie le genou pour soulever l’une des caisses qui abrite une statue.
Dahomey de Mati Diop, au cinéma le 25 septembre 2024