Critique | Mon ami robot, Pablo Berger, 2023
Pour d’évidence agrandir son audience ou pour peut-être explorer de nouvelles idées, Pablo Berger s’attaque, dans son nouveau film, à l’animation – l’amitié d’un chien et d’un robot. Adapté du roman graphique de Sara Varon et dénué de paroles, ce long-métrage aspire à toucher le plus grand nombre tout en voulant questionner notre rapport à la technologie moderne et au potentiel isolement que cette dernière impose (et règle d’une pierre deux coups) aux vivants. Malheureusement pour le cinéaste espagnol, la solitude est un sentiment qui, malgré son universalité, sera toujours propre à la singularité. Nous l’avons tous et toutes connue, chacun et chacune avec ses particularités et son plus ou moins haut degrés, et nous savons donc tous et toutes à quel point celle-ci varie selon les humeurs, les saisons, les personnalités et les histoires. Il est donc impossible de faire communauté au croisement des solitudes, sinon cela réglerait instantanément l’état. De là, le projet même du cinéaste semble tomber à l’eau. Il ne pourra, à la limite, qu’être le simulacre général de la solitude, et rien de plus… Car, en effet, en montrant la routine triste de son héros canin comme un redondant entremêlement de jeux vidéos, divertissements, mal-bouffes et incapacités sociales, Berger tire les ficelles des conséquences sociétales d’un monde où l’isolement devient roi sans jamais en distinguer les causes précises. Il y a donc là un terrible état des lieux qui pourrait apparemment se résoudre aussi facilement qu’à l’apparition (achetable) d’un ami robotisé. Or, percevoir la consommation comme antidote des autres et de leurs effets semble complètement utopique, voire idéaliste. De là, il sera difficile de suivre les banalités exposées, et de là, déjà, nous nous voyons abandonné·e·s par le film, isolé·e·s dans notre siège et alimenté·e·s d’une solitude grandissante que seul l’extérieur de la salle saurait régler.
Pour autant, comme son titre l’indique, le film prétend résonner avec notre époque, ce siècle robotisé, numérisé, automatisé. Quitte à échouer dans l’humain, peut-être Berger sauvera-t-il l’inhumain ? Et bien, non. Même là, il rate. Que ce soit dans son évolution narrative, ses événements ou ses gags, voire même – plus largement – dans ses choix esthétiques, Mon ami robot fait partie d’un temps clos, d’un temps passé, d’un temps boomer ; ce qui, somme toute, se trouve être un comble pour un film sur la technologie, l’avenir et la modernité. Car, en effet, comment pouvoir représenter un monde tel, si la forme même de cette représentation compte parmi les démodés ou autres tentatives obsolètes ? La scène musicale (faisant elle-même partie d’un procédé mille fois utilisé : l’un des héros rêve, mais nous ne le comprendrons qu’à la suite de son réveil) inspirée du Magicien d’Oz, par exemple, représente à merveille l’impersonnalité du rêve, puisqu’elle ne semble être que l’écho de tout ce que nous avons déjà vu ici ou là, à la télévision ou pour le moins pire ailleurs. Les quelques autres idées formelles (split-screen, scène clipesque, double épilogue) n’arrivent d’ailleurs pas à nous extirper de ce multiple déjà-vu. Parfois, garder ses habitudes permet de garder sa capacité d’imagination – peut-être que Berger n’aurait simplement pas dû passer à l’animation, puisque, de là, il succombe donc, d’une part à l’autre, aux facilités. Il semble en retard. Dépassé. Désuet. L’on ne peut uniformiser ni l’humain ni le monde, et c’est pourquoi tout essai sera tué dans l’œuf. Les ressorts utilisés narrativement et humoristiquement font ici aveux d’un souhait de charme qui ne fonctionnera à aucun moment – les procédés étant bien trop évidents pour nous faire chuter dans leur gouffre de clichés. Mon ami robot n’aura in fine de personnel que son adjectif possessif. Cependant, nous savons bien que possession et consommation ne font que rarement deux. De là, mieux vaudra être seul·e que possédant·e. Ou, dès lors, la cinéphilie tomberait bien bas.