Critique | Les belles créatures de Guðmundur Arnar Guðmundsson | 2024
Fin de journée après l’école. Quatre gamins de quatorze ans poussent des hurlements sur le toit d’un bâtiment désaffecté. On se suspend au-dessus du vide, on se provoque méchamment, on parle de filles avec lesquelles on ne couchera probablement jamais. A cet instant, on est les rois du monde.
Après Heartstone : un été islandais (2016), Guðmundur Arnar Guðmundsson poursuit son incursion au sein d’une jeunesse islandaise confrontée à une extrême violence. Il faut s’imposer, frapper, montrer qui est le plus fort. Les bandes rivales font la loi, essayons alors de les dominer. Microcosme impénétrable, étouffant, duquel on ne ressort que rarement. C’est un monde où les parents sont de pauvres âmes ou des menaces : un père alcoolique pour l’un, une mère absente pour un autre, un violeur enfin. Comment y échappe-t-on ? Par la violence, seule porte de sortie, seul moyen de s’affirmer. Tant pis, on fait comme les plus grands. Sans ça, comment exister ?
Récit cru d’une adolescence tumultueuse – que l’on vit par procuration lorsque l’on a eu la chance d’avoir une enfance choyée – Les belles créatures interroge brillamment les tenants et aboutissants des mécanismes virils. La plongée dans le quotidien des jeunes garçons est directe et s’ouvre sur le harcèlement scolaire de Balli, enfant en marge et introverti. Intégré à la bande d’Addi, Konni et Siggi, ils arpentent ensemble leurs minces chances de survie dans les banlieues de Reykjavik. Une simple caméra à l’épaule nous entraîne avec un naturalisme troublant dans leurs échappées.
La force des Belles créatures réside assurément dans les contradictions qui lient les quatre adolescents, révélatrices d’une période de vie ô combien douloureuse. Ils s’intimident entre eux, n’hésitent pas à assener un violent coup de poing à celui qui aura le malheur de ricaner trop longtemps. A côté de ça, un soutien sans faille face à la menace venue d’autres bandes plus âgées ou à la menace adulte. Et c’est bien sûr un amour des plus déchirants, retenu trop longtemps, que filme Guðmundur Arnar Guðmundsson. Un amour fraternel, d’abord, qui, dans ce flot de violence physique offre des scènes sincères dont l’une des plus belles du film : Konni, le plus âgé du groupe, lave les cheveux de Balli, prostré dans une baignoire. Ce dernier reçoit de l’amour peut-être véritablement pour la première fois. La lumière de l’appartement en piteux état, grise et blafarde n’entache en rien cet instant. Les gestes de Konni sont tendres, appliqués. Ils viennent de ces mêmes mains qui causent les pires dégâts. Le plus déchirant c’est peut être, finalement, notre réaction face à cette scène : car oui, nous n’imaginions même pas ces enfants capables de pareilles démonstrations d’amour.
Mais qu’en est-il, de l’amour romantique ? Comment peut-on imaginer tomber amoureux du chef de la bande ? Addi lui caresse les cheveux, alors qu’il est allongé, la tête sur ses genoux, ricanant. Guðmundsson saisit des moments d’une tendresse infinie alors qu’une séquence plus tard, on assène un violent coup de poing sur le nez du jeune voisin. Déclarer son amour passe alors par une dimension si virile, que l’on est prêt à se mettre en danger pour l’autre.
Car on ne se l’avouera jamais, mais on s’aime.
Les belles créatures de Guðmundur Arnar Guðmundsson, le 25 septembre au cinéma