Critique | Les fils qui se touchent, Nicolas Burlaud, 2025
Je venais de voir sur un écran d’ordinateur mon propre visage.
Des bouts de métal et du plomb dans la tête pour remonter sa mémoire, Nicolas Burlaud, à l’approche de la cinquantaine, cherche à comprendre ses soudaines crises d’épilepsie. Il plonge dans l’activité électrique de son cerveau pour voir comment c’est à l’intérieur, et de là, il tire les fils, il fait le bilan. Un remontage d’images pour suivre la ligne d’une trace mnésique qui se dessine au travers des denses archives du collectif Primitivi. Point de départ qui lui permet de découvrir la provenance de cette bille qu’il a dans le crâne – l’éclat d’un tir de police. Alors, il creuse, ressort les cassettes et dépoussière les chroniques de la télé//vision pirate dans un acte de re-mémoire, une réactualisation de ces lieux sans médias. Depuis les années 1990, il collecte des images des quartiers de Marseille et des actions locales restées hors-champ. Les réactions des habitant.es du quartier de la Savine lors de sa destruction, le joyeux bingo du carnaval de la Plaine, la chute de l’immeuble rue d’Aubagne, les manifs et autres organisations alternatives citoyennes, vestiges d’une ville qui résiste à l’effacement et au vide capitalistique.
Les allers-retours entre IRM cérébrale et sonorités techno, entretiens médicaux, cassettes VHS et vidéos personnelles révèlent le fonctionnement en strates de la mémoire et le lieu des émotions – du vent sur les arbres au bord de la route, du fantôme des plaques sur les murs de la ville, de l’enfant qui joue à cache-cache derrière un buisson, du chant des manifestants – et alors s’imbriquent l’individuel et le collectif, et transparaît le sens de faire corps, de faire société. Le trouble neurologique est ici une porte d’entrée vers d’autres histoires dont les gestes cinématographiques (enquêter, filmer, monter) s’emparent pour faire émerger des formes de résistance, des contre-propagandes. Par une archéologie de l’intime, le cinéaste consolide une mémoire collective fragile, celle qui est habituellement mise de côté au profit d’un récit dominant.
Des poissons dans le béton aux souvenirs de ces luttes, Nicolas Burlaud s’immisce dans le processus de fabrication des souvenirs et nourrit nos hippocampes de bricolettes. En reconnectant des morceaux de réel, Les fils qui se touchent n’est pas une réponse figée mais une contre-archive mouvante, une puissante tentative de faire mémoire.
Les fils qui se touchent de Nicolas Burlaud en salles le 19 février 2025.