Lecture | Nadav Lapid. Description d’un combat, sous la direction de Morgan Pokée | 2025
Ouvrage dirigé par Morgan Pokée, Nadav Lapid. Description d’un combat, à paraître pour la sortie de son nouveau film Oui, est composé d’entretiens, de documents de travail, et de contributions de personnalités qui ont croisé le chemin (de croix) du réalisateur. Présentant d’abord un entretien fleuve avec Lapid lui-même, mené juste avant la présentation du film à la Quinzaine des Cinéastes en première mondiale, le livre présente la volonté de formuler une parole brute, qui nous tombe dessus comme les pierres déversées par la fureur de la mère de Y. sur son fils. Une parole qui ne se contente pas de répondre aux questions bateaux de journalistes en croisière promotionnelle, mais qui s’attelle à la tâche de faire chavirer le sens, à explorer les fonds des récits de Nadav Lapid, sa prise physique avec le cinéma, un être-au-présent qui implique jusqu’au projectionniste. Car si son cinéma semble en prise avec une forme d’intellectualisme au premier abord, c’est la reflection des mots sur les images qui travaille le cœur de sa filmographie, dans laquelle il a d’abord cherché le mot le plus juste (Synonymes, 2019) pour ensuite explorer l’épure du non (Le Genou d’Ahed, 2021) et du oui (Oui, 2025). Un cinéma physique, car une simple fiction de la chair la plus électrique, l’amour, peut côtoyer dans un même panoramique, le corps dans sa réalité la plus fragile, la guerre.
La deuxième partie du livre invite ses proches collaborateurs à raconter la manière dont iels travaillent avec Lapid, dans un dialogue artistique constant, dirigeant ses techniciens (puisque ce sont eux qui ont la parole) comme il dirige ses acteurs : si tout est écrit à la lettre, le tracé est laissé à d’autres mains. L’ouvrage passionne alors par la perspective qu’il ouvre sur une trajectoire artistique remontant jusqu’au Lapid poète depuis ses quatre ans, et qui depuis, travaille avec sa mère (monteuse sur Le Policier, L’institutrice, Journal d’un photographe de Mariage, Synonymes) et son père (écrivain, souvent consultant ou co-auteur). Et si parfois ces discours lui prédestinent légèrement un chemin hagiographique, il n’en demeure pas moins un tendre témoignage de la manière dont le cinéma fait collectif, voire foyer.
Enfin, tout l’ouvrage laisse transparaître, au-delà d’une réflexion sur le cinéma en tant que matériau pur, le récit d’un exilé d’un état en état de guerre perpétuelle, par la nature même de ses fondations. La description d’un combat du titre devient la narration d’un parcours du combattant au sens littéral, puisque, jeunesse israélienne oblige, le service militaire est de mise. L’idéologie guerrière omniprésente dans sa vi(ll)e de jeune adulte à laquelle il s’oppose fait de lui un déserteur par essence, lui qui aime tant filmer la solitude du désert. Soixante-quinze ans de solitude, grain de sable à l’échelle d’une vie, égrainée sous forme d’anecdotes édifiantes qui permettent de saisir plus que tout discours la complexité à laquelle les films de Lapid prétendent de démêler un tout petit bout par la lorgnette.
Nadav Lapid. Description d’un combat, sous la direction de Morgan Pokée, en librairie le 15 septembre 2025