Critique | Miséricorde, Alain Guiraudie, 2024
Définitivement, seule la chair dicte nos chemins. Et ce n’est pas le monde des idées qui changera ça. Ni celui des croyances. Il y a comme une brume d’automne qui recouvre tendrement nos désirs et dont chaque vapeur, même brouillard surplombant, a toujours sa couche foncièrement matérielle et qui, à point, effleurera finalement nos tentations comme des pulsions incontrôlables. Cette pensée, mi-pathétique mi-fataliste, surcharge Miséricorde d’ambiguïtés. Néanmoins, Guiraudie et son style savent tenir la fluidité et la justesse d’un monde complexe. Jamais nous ne nous retrouvons soumis à la vanité d’un propos, et toujours nous nous retrouvons élevé par mille questions, mille intrigues. C’est tout l’art de son auteur que de nous confronter à l’irrésistible perfection d’une bizarrerie, parfois presque féerique, qui s’acoquine à merveille et sans paradoxe avec une vraisemblance tellurienne.
Miséricorde est un champignon, une espèce nouvelle. Il a besoin de la bonne lune, d’un corps sous terre, de quelques nuits américaines – ou plutôt occitanes – et de pluie d’anisettes pour moisir dignement. Il pousse avec lenteur dans l’âme humaine et ronge les égarés, mangeant avec dégoût cette omelette de morilles nouvelles. Et comme d’un courant actuel d’où deux gendarmes erreraient, perdu·es, dans les ruralités françaises, Guiraudie s’ancre – au côté de Dumont et de son P’tit Quinquin – là où les propositions se font rares, là où la fiction regorge de surprises inattendues, de rebondissements sans sursauts surfaits, d’atmosphères perturbantes et de gestes magnifiquement innovants.
Comme dans la conscience humaine, ici, tout n’est pas clair. Mais n’est-ce pas dans l’obscurité que se déroulent les choses les plus incorrectement excitantes ? N’est-ce pas dans le confessionnal qu’elles se révéleront sous quelques rais estompés par le meuble ? Tout est imaginable, et tout est donc illimité. Rien ne peut se fixer là où la tentation vacille. Et rien ne servira de s’accrocher à son siège, car Guiraudie vous fera lâcher prise, jusqu’à – au bout du compte – vous reprendre in extremis par la main. Miséricorde empeste d’humanité et d’entraide là où pourtant les plus hautes immoralités règnent. C’est le blasphème qui fait naître l’empathie.
Néanmoins, aveux et confessions dominent comme la gravité d’aimer ou de désirer hors de nos courroies autorisées. La surveillance des désirs vient jusqu’à notre chevet par une sorte de police des érections. Il y a là un requestionnement fondamental sur notre logique de justice punitive générale. Comment obtenir le pardon, si ce n’est par la pitié – et voilà donc que s’ouvre la miséricorde. Soyons clément, et la bonté sera guiraudienne. Pour l’instant, la beauté l’est.
Miséricorde d’Alain Guiraudie, en salles le 16 octobre 2024