Miroitements sans vertige

Critique  | Miroirs No. 3 de Christian Petzold, 2025 | Quinzaine des Cinéastes

Laura (Paula Beer) part en vacances avec son petit ami. Au dernier moment, elle  change d’avis et lui demande de la ramener à la gare. Miroirs No.3 de Christian Petzold est la cinquième collaboration avec celle qui se confirme comme son actrice fétiche, à la manière d’Anna Karina chez Jean Luc Godard. Un spectateur attentif pourrait d’ailleurs deviner dans le début de Miroirs No.3 une variation et une continuité directe de la fin du Mépris (1968) de JLG.  Les mêmes motifs sont là : une dispute de couple, un mépris féminin, une décapotable rouge, un accident mortel ; il ne manque que la musique de Delerue et l’Italie. Sauf que cette fois-là, ça ne se passera pas comme ça. Laura survit miraculeusement à l’accident, à peine une égratignure dans le dos, la tragédie annoncée est évitée. Elle est recueillie par Betty, une témoin de l’accident. Peu à peu Laura et la famille de Betty vont s’acclimater pour surmonter le deuil.

Comme toujours dans le cinéma de Christian Petzold, le mythe s’empare d’un banal quotidien. Cela n’est pas frontal comme dans Ondine (qui travaillait de manière contemporain le mythe éponyme), mais la séquence d’ouverture de Miroirs No.3 emprunte ainsi à la symbolique de la mythologique grecque : le fleuve de l’ouverture est un Styx, avec un charron tout de noir vétu juché sur un paddle, qui passe devant Laura. Si la tragédie n’est pas dans l’accident de voiture d’ouverture, il se niche discrètement dans les relations de la famille de Betty et Laura. Dans un Vertigo (1958) sans tension, qui ne veut pas dire son nom, Laura s’adapte à la famille, porte des vêtements que lui prête Betty, et s’amuse à jouer un piano qui n’a pas été accordé depuis longtemps. Tout est tranquille en apparence, il existe un réseau de symboles qui rappelle lourdement au spectateur que quelque chose cloche : un lave vaisselle qui explose, un vélo défaillant, etc… La séquence la plus troublante est celle entre Laura et le fils de Betty au garage, dans laquelle ce dernier écoute en travaillant The Night de Frankie Valli et The Four Seasons. Elle lui demande ce que c’est, il ne sait pas car « c’est une playlist », et elle lui demande de relancer la chanson. La scène se rejoue pour les protagonistes, les regards se toisent en silence dans un sourire flottant.

Quand est finalement révélée la tragédie familiale (la fille de Betty s’est suicidée, et cette dernière projette une fille de substitution sur Laura), elle arrive tardivement, et fait l’effet d’un soufflé qui se dégonfle d’un seul coup. On se demande où est le drame là- dedans, et un ennui poli déjà bien installé devient pénible. Miroirs No.3 est un petit film écrasé par ses références : il n’a pas le lyrisme du Mépris et de Vertigo, et le talent de Paula Beer n’y peut rien.

Miroirs No3 de Christian Petzold, en salles prochainement