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Critique | Nino de Pauline Loquès | Semaine de la critique

Nino a un cancer. La médecin lui annonce, implacable, sans préparation. Il était juste venu consulter pour un petit mal de gorge et une grosse fatigue. Il l’apprend là, seul. Nino, premier long métrage de Pauline Loquès met en scène un jeune homme atteint d’un cancer de la gorge. Il a 29 ans, c’est bientôt son anniversaire. Dès les premières minutes, Nino (Théodore Pellerin) perd ses clés à l’hôpital, l’enfermant ainsi à l’extérieur de son chez soi. Il erre de l’hôpital à chez lui, déstabilisé par ce qu’il vient d’apprendre. La chimio affecte la fertilité, il doit faire une conservation de spermatozoïdes avant le début de son traitement lundi. Un week-end pour se préparer à un changement de vie, à encaisser. « Ne vous inquiétez pas, vous ne perdrez pas vos cheveux » lui dit la médecin (Victoire Dubois). Maladie invisible. Le pot d’échantillons à la main, il cherche un endroit pour récolter son sperme et tombe nez à nez avec une copine de collège et son petit garçon. Tout au long du film, Nino va accumuler les rencontres – hasardeuses et joyeuses ! – de gens qui peuplent sa vie. Ce condensé de vie en un week-end, Nino le vit près de ses proches. Lui qui « met souvent des plans » à son ami Sofiane (William Lebghil) se pointe à sa fête surprise d’anniversaire le samedi soir. La fête d’anniversaire est un concentré de chaleur. Les rires fusent, et Nino, au milieu de ses amis, semble suspendre le temps. Son regard, pourtant, trahit une tristesse diffuse, un voile discret qui flotte. Ses sourires sont sincères, mais teintés d’une gravité nouvelle. À chaque embrassade, à chaque éclat de rire, il semble retenir un peu plus fort ces instants, comme s’il mesurait l’intensité de leur fragilité. La relation avec sa mère (la magnifique Jeanne Balibar) s’avère être le point central de son existence. Ils se comprennent au-delà des mots, dans des silences pleins et habités. Lorsqu’elle lui caresse le visage, ses gestes sont doux, empreints d’une infinie précaution, comme si elle redoutait de le briser. Elle l’entoure de sa tendresse protectrice, avec cette présence constante qui apaise. Elle lui parle de son enfance et de son père décédé quand il était petit. Le cycle de la paternité constamment brisé et rejouée. Nino l’écoute, ses yeux brillent un peu plus, et l’on devine tout ce qui affleure derrière cette émotion contenue.

Loquès parvient à capter cette lumière douce qui persiste. Mais au-delà de cette tendresse palpable, le film explore une érotique de l’intime, une sensualité discrète mais prégnante dans chaque geste. Les mains qui se frôlent, les étreintes furtives entre amis, les caresses délicates de sa mère sur son visage : tout est filmé avec une attention presque charnelle, comme un hommage à ce qui circule entre les corps. La caméra s’attarde sur les détails : un souffle partagé, un rire étouffé dans un creux d’épaule, la chaleur d’un regard échangé. Cette sensualité diffuse, jamais appuyée, s’invite dans les interstices de l’histoire, rappelant que le lien aux autres est aussi une matière vivante, organique, qui vibre même dans la douleur. Un film qui, au-delà de la mélancolie, célèbre les liens qui nous survivent, dans toute leur humanité tactile.

Le lundi matin, c’est Sofiane qui l’accompagne à l’hôpital. Il a appelé tous les hôpitaux de Paris pour savoir où Nino était. Une infirmière souriante tend à Nino un petit bracelet en plastique blanc, un de ceux que l’on met aux nouveaux-nés, où figure son nom, imprimé en lettres noires. Son pouce passe doucement sur le bracelet, le caressant presque, et l’on devine dans ce simple geste tout ce qui s’accumule : le poids de l’enfance qui resurgit, le symbole d’une fragilité exposée, l’empreinte de ce qui reste, même quand tout vacille. Nino n’est plus seul.

Nino de Pauline Loquès, le 17 septembre 2025 au cinéma