Critique | Nuremberg de James Vanderbilt| San Sebastian 2025
Cela sonnait franchement comme une blague : Nuremberg, un blockbuster américain sur le super procès international des criminels nazis de 1945-1946. La boutade devient douteuse au moment du casting : Russell Crowe en Hermann Göring, et Rami Malek en psychiatre Douglas Kelley, un officier chargé de savoir si lesdits criminels seront aptes à être jugés. Alors on se réconforte au regard du pedigree du cinéaste, passé sur le scénario du Zodiac (quand même !), mais aussi des Amazing Spider Man, White House Down, et des derniers Scream (certes). Enfin, on s’interroge sur l’existence même du projet. Des films sur cette date dans l’histoire de la justice internationale, il en existe à la pelle : De Nuremberg à Nuremberg (1989) pour les documentaires, Nuremberg (2000) pour les séries, et le totemic Jugement à Nuremberg (1961) de Stanley Kramer, film qui arrivait déjà très bien à concilier la machine hollywoodienne et la pleine portée de l’événement historique. Alors qu’on rêvait de ces quelques tentatives parfois réussies, on revient à la séance du matin, les yeux frais. Le réveil se révèle assez brutal, et ce n’est pas la faute au double expresso avaler au petit-déjeuner.
De l’abjection
Nous fûmes bien naïfs, car rien ne nous préparait véritablement à ce qui est purement et simplement une grande infamie cinématographique. Une phrase prononcée par une journaliste donne le ton du traitement formaliste qu’adopte le film pour raconter Nuremberg : « d’ici 48h, ce procès sera le plus grand spectacle du monde » (en anglais dans le texte, cela sonnerait presque explicitement comme une référence au Greatest Show on Earth de Cecil B. DeMille). Imaginez donc un film qui se présente comme historique, mais filmé en réalité par l’un des pires fils illégitimes de Spielberg. Les ruines de la ville germanique font office de décor à thème Disneyland, dans lesquels déambule un Rami Malek fringué comme Indiana Jones, veston de cuir marron vintage et lunettes noires. Quand Stanley Kramer filmait ce qu’il restait de la place de Nuremberg en 1961, il en faisait une scène magnifique de cinéma, où les ruines vides faisaient entendre en off les fantômes des nazis victorieux. Quand James Vanderbilt les filme en 2025, elles deviennent un élément de scénario, une note de bas de page, pour une pauvre séquence de dialogue où l’on somme Kelley d’avancer plus vite dans le diagnostic de Göring. Un décor historique au service d’un film d’espionnage médiocre.
L’abjection, car il n’est question que de cela, atteint son paroxysme dans le traitement réservé aux hauts fonctionnaires nazis. Le psychiatre Kelley arrive dans l’hôtel où résident tous les principaux accusés, et voilà que le film les présente à tour de rôle à travers leurs crimes de guerres, dans une imitation gênante des super-héros à la Avengers à travers leurs faits d’armes respectifs, dans une séquence de montage survitaminée. Chacun a sa catchline immonde, son traitement de caractères choc : le plus cynique est Ley, présenté par une fausse séquence d’archives où il éructe au micro en allemand comme Chaplin dans Le Dictateur (1940). Malaise total dans la salle. Göring est un Hannibal Lecter trempé dans la sauce nazi, figé dans les traits grimés d’un Russell Crowe à l’accent allemand imbuvable. Et si vous aviez oublié les cuivres pétaradants qui ont forgés les heures de gloire de Hans Zimmer dans les années 2010, les voici de retour pour bien souligner l’idée qu’il est un monstre (lui aussi, donc) du cinéma américain.
« Nazis, I hate these guys. »
Toutes les théories de Hannah Arendt sur l’idée de banalité du mal sont ici balayées d’un revers de la main au profit d’un divertissement abrutissant et dangereux par sa dépolitisation des enjeux réels d’un tel procès. Cela amène des dialogues hallucinants, avec un psychiatre qui commence une séance avec Göring par un franc « Let’s talk about Hitler ». On est au bistrot ou au cinéma !? Vanderbilt ne s’intéresse pas à l’Histoire, et sa prétention à établir une vérité sur les derniers échanges des bourreaux des camps avec un psychologue de comptoir est un crachat à toutes les victimes, tant elle est faite de raccourcis ou de réécritures, avec à chaque fois la certitude (qui relève de la propagande) que les États-Unis sont toujours les grands gagnants qui ont sauvé l’humanité en mettant la corde au cou de Göring.
Rappelons ceci : le concept de crimes contre l’Humanité a été défini par les Etats Unis pour la première fois le 8 août 1945, soit deux jours après le largage de la bombe atomique sur Hiroshima, et un jour avant celle de Nagasaki. Question de point de vue, sans doute.
Nuremberg de James Vanderbilt, prochainement au cinéma