Critique | Once Upon a Time in Gaza des Frères Nasser, 2025
C’est par un conflit d’idées que se présente le troisième film des Frères Nasser. La voix de Donald Trump se fait entendre sur fond noir, le fameux discours de février dernier dans lequel l’actuel président des États-Unis annonçait faire de la bande de Gaza la « Riviera du Moyen-Orient ». La voix est subitement étouffée par la trompette aux accents moriconniens et victorieux d’Amine Bouhafa, puis le titre affiché dans une typographie de blockbuster, Once Upon a Time in Gaza, en toutes majuscules. Une heure trente de cinéma, en réponse à une actualité brûlante, un film de fiction palestinien comme contre-attaque à un discours colonisateur.
GAZAWOOD
Il était une fois à Gaza, en 2007, Yahya et Oussama, un étudiant et un dealer. Ensemble, ils tiennent un falafel, un restaurant de façade qui cache un trafic de médicaments, glissés par petites plaquettes dans des sandwichs. En face, Abou Sami, policier crapuleux qui veut utiliser Oussama comme indic’, sous peine de l’emprisonner pour trafic. Après Gaza, mon Amour (2020), première tentative de reprendre le contrôle des images d’un peuple opprimé, tant sur le plan physique que dans l’imaginaire collectif, par une guerre colonisatrice à travers le genre identifié de la romance, les frères Nasser font de la pastiche cinématographique même le centre de leur troisième film. Ici, les références au soft power établi par le colon américain sont reprises au cœur d’une guerre des images, où la contre-culture palestinienne reprend ses droits pour apparaître avec les armes de l’oppresseur.
En deux temps séparés par un cut elliptique, les cinéastes brodent une tragédie, avec comme seul perdant le peuple opprimé que représente le duo Yahya et Oussama. La première partie du récit emprunte aux codes et motifs narratifs des films de gangsters, avec un duo de petites frappes face à une police bras armé d’un système oppressif, qui pourrait provenir du cinéma de Scorsese ou de Leone (la claire référence du titre à Once upon a time… in America). La seconde partie, qui se déroule plusieurs mois après la première, propose le récit d’un tournage, de ce qui serait le premier film d’action gazaoui, dans lequel Yahya devient un acteur et héros malgré lui, repéré en casting sauvage.
You talkin’ to me ?
Cet exercice de film dans le film qui arrive assez tardivement dans la narration (le cut elliptique faisant vraiment office de changement de trajectoire, autant dans le récit que dans le régime esthétique), permet de belles métaphores sur l’état actuel de la bande de Gaza à travers ses séquences de tournages. La production n’ayant que peu de financements, il n’y a pas d’équipe pour les effets spéciaux, les scènes d’actions de fiction doivent se faire par la contrainte du réel. Le réalisateur à beau dire que c’est « du cinéma, c’est pas pour de vrai », les acteurs tirent avec de vrais fusils et avec de vraies balles, et un autre acteur refuse de jouer un soldat israélien qui piétine le drapeau palestinien. On a beau vouloir répondre au soft power du colon par l’usage détourné du même soft power, le peuple palestinien continue de souffrir et de mourir (son Rambo de pacotille le premier, qui se prend une balle perdue en pleine tête sur le tournage). Et ce constat ne peut pas être rendu pour de faux dans un film d’action, disent les Frères Nasser.
Ancrer le tragique des personnages de Once Upon a Time in Gaza à travers des motifs déjà marqués par le cinéma américain des années 1980-1990 fait surgir la véritable douleur du peuple gazaoui, un peuple trop meurtri pour se reconstruire.
Once upon a time in Gaza des Frères Nasser, en salles le 25 juin 2025