Critique | Festa Major, Jean-Baptiste Alazard, 2025
Pyrénées, fin de saison. C’est la fête pour cinq jours, l’acacia est planté. En hâte, Festa Major débute, ne laissant rien aux creux, ne lâchant pas son rythme – l’humeur est à la vie dans toute sa volupté, son ivresse et sa jubilation. Depuis plus d’un siècle, chaque été – brusque période vivement attendue – l’événement qui, transmis par filiation, revient, se rallume, ressurgissant par l’euphorie du collectif. C’est le mystère fait de danses, de grimages et de costumes d’un village secrètement nommé F., disposé hors du temps, un espace montagneux. C’est le lâchage des esprits, disposés à la joie, l’enchantement, aux mauresques délicieuses. Un village hors du monde, un instant dans le leur. Jean-Baptiste Alazard y porte sa caméra, poignets valsants, longue focale et gros plans. Il faut rythmer la vie ; lui n’y va pas de main morte. Et tout commence au commencement ; c’est à nous d’accepter ce qui nous fait du bien.
Dès lors ça s’active, l’on colle les affiches dans le vent, se répartit les danses et les dernières cueillettes. Organiser, c’est déjà fêter. En prévision du plus grand, petits apéros de petites anisettes. De la salle de cinéma, le retour à la communauté semble facile. Le temps du film et de sa Festa Major, le rêve du collectif s’ouvre comme un fantasme d’une vie légère. Y’aurait-il, à la marge, d’autres possibles ? Un idéal, peut-être. Une célébration, sans doute. Le temps d’une fête, faire relation devient spontané, il y a l’exaltation des échanges, se toucher, s’embrasser, se porter, tout est liant, surtout les corps et l’unisson fait chœur. La voix off se confie, les musiques l’emportent, chacun son baiser et l’on repart de plus belle.
Dans ce flux festif, c’est un véritable film énergivore qui abruptement s’installe. Il faut agir au lieu d’attendre, et dans l’action du film réside la frénésie de son montage. Alazard ne s’arrête pas, lui-même est engagé, pris de court dans la fougue du déchaînement. Hors de portée de quelques contemplations, notre œil perdu dans les gros plans vrille pleinement d’une danse ou d’une gorgée, passant d’un fait à l’autre sans temps pour les minutieuses admirations. Mais à bien y réfléchir, y scruter, peu importe, car il faut vivre pour avoir vécu, et puis de cette maxime la forme l’emporte ; seule la mort l’arrêtera ; elle est inévitable, même nécessaire. Dans ces conditions, pas de frustration de la brièveté – l’exploitation des gros plans et longues focales perturbe l’approche, désappointant la découverte toute à la grâce des sensations. Les flous des arrières-plans concentrent les prises sur un objet précis, visages ou bagatelles jolies de tradition, un objet de puissance simple ; rien qu’une lueur fera l’ivresse. Un rayon de vie nous suffira.
Entraîné·es dans le rythme des levers et couchers des jours sur la trouble montagne, les festoyeureuses, tampons sur poignet (ou sur front), guettent la suite. La vie a battu son plein. C’est un final de belvédère en friche. Les mots sont limités, ils peinent à saisir ce vertige collectif. En hiver, on pense déjà la prochaine fête, se rappelant la dernière. Pas de place sans la mort. L’utopie, un court instant, semble possible : el rayon verde !
Festa Major de Jean-Baptiste Alazard, en salles le 16 avril 2025.