Critique | The Chronology of Water de Kristen Stewart, 2025
Liquéfaction. Couler. Sous le ponton coule la scène. Et son amour, faut-il qu’il s’en souvienne ? Non. Le père sera condamné à oublier. Oublier le règne de terreur qu’il a instauré au sein de son gynécée. C’est la seule façon de restaurer la mémoire traumatisée de sa fille : lui laisser reprendre le flot du récit. Plonger dans la profondeur de ses images mentales qui ne sont saisissables, comme l’eau, qu’à travers des sensations. Couler, se laisser couler, que le temps s’écoule ! Faire couler le sang et que l’eau s’en mêle. La femme se liquéfie, l’homme se durcit. Perdre les eaux, le sang des menstrues, éjaculer, suer, cracher, pleurer. S’immerger pour ne plus entendre que son propre souffle, pas celui de la bête tapie dans la nuit. Noyer son chagrin. S’immerger dans le roulis des mots, griser des cahiers. Se griser à l’eau de vie jusqu’à la liquidation.
Solidification. Le montage stewartien coule d’image en image, fait ricochet. On se raconte sa propre histoire dans l’espoir d’y trouver un fil qui ne soit pas qu’un flux. Il n’y a qu’une chronologie qui n’a pour seule logique que les lois de la physique. Naître, grandir, se reproduire, être blessée, guérir, blesser, consoler. Les mots relient et tirent une couverture à soi. Les mots sont durs comme des petits cailloux. Ils ont la forme de l’eau devenue trop froide. On glisse sur leur surface jusqu’à tomber la tête la première dedans. Alors s’ouvre un abysse, celui des hommes et des femmes qui pansent le corps avec leur langue, par delà le corps. Donner corps, se donner, s’appartenir par la déprise volontaire. Vaincre la violence qui soud par tous les porcs de la cellule familiale en devenant une dure à cuire. Avoir la peau dure. La chair est triste, hélas. Elle est en deuil de son enfant et de son enfance. Elle est pourtant toute rose sous la rigidité de la mort.
Sublimation. Laisser glisser son doigt mouillé sur la surface des choses et tracer des images qui ne se lisent ou se disent que par l’épiderme. Femme de glace s’évapore à la liqueur. Les femmes ont toujours eu des vapeurs. La rage éclate, laissée sans voix pendant trop longtemps. Larmes sans air font lames. Trancher court, couper net. Tracer sa voix d’une caresse. Se laisser emporter par le courant qui passe et ne pas se volatiliser. On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve, dit le sage. Éconduire et se laisser conduire là où l’on ne pensait plus jamais revenir. Laisser couler. Accepter de s’immerger. Se couler dans la peau de l’autre et marcher sur les traces de son futur, aussi solides que la buée. Faire confiance, retenir sa respiration devant une beauté à couper le souffle. Traverser la vie en nage libre. Boire, manger, faire l’amour, écrire. Et faire des films.
Elle va, sans peur.
The Chronology of Water de Kristen Stewart, en salles le 15 octobre2025