e-Tron

Critique | Tron : Ares de Joachim Rønning, 2025

Tron n’était pas voué à avoir de suites au cinéma. Le premier film de 1982, mièvrerie au charme vintage lui-même désuet, avait pour idée de donner vie aux circuits électroniques que nous utilisons au quotidien. Un concept, un film, nul besoin de tergiverser. En 2010, une suite, son « héritage » (Legacy), donne un ton résolument dramatique à l’idée initiale, et fait de cette métaphore à peine dissimulée d’Internet un film œdipien ronflant et sans charme, qui trouvera sa postérité du côté des arts textiles et du design plutôt qu’au cinéma. Quinze ans plus tard, voici venu le temps des intelligences artificielles, celui d’une nouvelle génération de milliardaires qui règnent sur la Silicon Valley, et qui inspirent très vite cette idée à leurs comparses hollywoodiens. D’où l’inversion du concept : ce sont les petits bonhommes du monde virtuel qui pénètrent désormais le nôtre. Rien de bien méchant ou de sérieux, de concret en réalité, juste des motos rouges qui vont même pas vite mais qui foncent droit dans le mur, et des fantasmes d’invasion littéralement déconnectés des enjeux que posent ces innovations technologiques.

Passons l’anthropomorphisme déjà très bête du postulat de la saga — on est chez Disney. Passons également la réduction de l’IA à une rivalité essentialiste (d’un côté le garçon Julian Dillinger (Evan Peters) veut faire de cette technologie une arme de guerre très méchante ; de l’autre, la fille Eve Kim (Greta Lee) qui s’en sert plutôt pour éradiquer le cancer et la pauvreté sur Terre), bien pratique d’ailleurs pour éviter de parler d’écologie — on est toujours chez Disney. Le problème, c’est qu’en procédant de la sorte, il ne reste pas grand chose à l’arrivée : un Jared Leto toujours plus lunaire (cohérent avec lui-même ?), sorte de substrat de machine devenu humain, prônant dès lors la déconnexion puisque « le monde n’est pas près pour lui », arpentant les pays pauvres depuis une vieille bécane, façon Neo-Jésus seigneur omniscient des deux mondes. Sous couvert de complexité — c’est en tout cas l’effet recherché par le journal télévisé introductif qui bombarde des dizaines d’informations à la minute plutôt que de les mettre en scène —, le film dérive surtout de l’essence de la saga pour s’inscrire dans la lignée philosophique de Blade Runner et de Robocop plutôt que de Matrix. Un changement de cap qui piétine définitivement les films précédents donc. Au nom de quoi ?

Déjà que la saga était pauvre, en rompant avec le pacte métaphorique du premier volet et en se reposant totalement sur l’esthétique du second opus sur un ton rouge (car du reste, il est intégralement renié), ce nouvel opus de Tron n’a désormais plus rien pour lui, sinon la pauvre carte de la nostalgie réactionnaire à jouer. Très subtil, le film se propose le temps d’une séquence la piste d’un retour aux années 1980, sur la bande son de Just can’t get enough de Depeche Mode, sorti à quelques mois d’intervalle du premier film !!! Mais la plus triste vérité autour de ces nouveaux projets de suite de sagas passées, c’est qu’ils sont même trop creux et formatés pour adopter ne serait-ce qu’un regard sur les sujets qu’ils brassent de loin. Voilà où on en est : des films qui visent la profondeur à travers la 3D uniquement, qui coûtent des centaines de millions et qu’on sait nuls d’avance. Mais qu’on ira quand même voir parce qu’au pire, on aura écouté la nouvelle B.O. de Nine Inch Nails.

Tron : Ares de Joachim Rønning, le 8 octobre 2025 en salles