Critique | Plus qu’hier, moins que demain de Laurent Achard (ressortie)
Entre une étrangeté rurale proche de Dumont et une errance désolante avoisinant le style d’Eustache, il y a Laurent Achard. Et plus encore qu’Achard, il y a Plus qu’hier, moins que demain, vacillant entre un naturalisme façon Pialat et un onirisme façon Creton, tout en allant vers de nouvelles contrées chimériques, des paysages perdus. Ensuite, il faut dire que si nous nous rattachons à d’autres noms, c’est bien parce qu’il faut trouver l’emplacement précis de ce geste, le sien – celui-là même qui n’a pas su être maintenu dans les mailles des quelques cadres cinéphiliques des derniers temps, et dont seule la mort de l’auteur (en mars 2024) aura su raviver quelques braises. Il faut dire que le bouillonnement de son cinéma n’a jamais été conséquemment mis en avant (seule une présence à Cannes parmi ses 12 films : La peur, petit chasseur en 2004, à la Quinzaine, mais court-métrage). Pour le reste, une vraie reconnaissance critique, certes – mais niche : festival de Belfort, prix Jean-Vigo, Locarno et Clermont-Ferrand. Grâce à La Traverse Distribution, cet été, entre grand barrage à l’extrême droite et venue des JO, Plus qu’hier, moins que demai va enfin pouvoir renaître de ses cendres. Une joie donc pour celles et ceux qui souhaitaient, par la grandeur artistique, fuir les tambouilles des politiques politiciennes et les 400 mètres haies.
Comme dans un stade d’athlétisme, chez Achard et à l’inverse du monde, on tourne en rond. Dans ce qui nous est montré, il n’est pas commode de trouver un appui. Il y a comme une sensation de fuite constante, de choses qui nous échappent, de manques qui nous obsèdent et de peurs qui nous assiègent. Guetter Plus qu’hier, moins que demain, c’est forcément accepter l’instabilité des relations, la dangerosité d’une communauté, la perturbation de l’existence même.
Le film débute sur un plan frontal : deux jeunes gens, deux regards caméras et un mur derrière eux. On va s’y cogner, on ne va pas pouvoir aller bien loin et, de toute façon, la fuite est vaine. Le garçon dit à la fille « Le jour se lève, il faut rentrer », résonnant comme une réécriture désenchantée de la célèbre citation de Valéry « Le vent se lève, il faut tenter de vivre ». Car ces deux jeunes, par leur classe sociale (sans doute prolétaire) et leur cadre géographique (pleine ruralité française), n’auront pas grands lieux où s’enfuir, sinon chez eux. Tenter de vivre n’est finalement réductible qu’à la possibilité d’un retour chez soi. Un aller-retour, mais jamais une fuite. Et puis ensuite, le garçon demande « À quoi tu penses ? », et elle répond « À rien. », alors il dit « Mais si, tu as l’air ailleurs… » et elle rétorque « Mais non, je suis là. Où veux-tu que je sois ? » et tout est dit – plan noir, du ciel, des étoiles, générique d’ouverture.
Les humains qui vagabondent dans le film sont comme des fantômes. Ils divaguent dans le décor, enfermés par les arbustes, les horizons creux et les traumatismes. Un secret rôde comme une bête sauvage. Et délaissés par l’ailleurs, ici devient la seule zone d’existence. Or, derrière les apparences résident toujours les consistances. Achard sait magnifiquement bien troubler nos regards par des ombres, des silences, des hors-champs. Il réussit à capter l’essentiel d’un territoire reclus, formé d’habitants délaissés dans leur marginalité contrainte. Il y a là une peinture juste et amorale de ce que la France profonde peut parfois être. Jamais il nous place en juges, mais toujours il nous positionne en observateurs éloignés. Cette distance provoque toute notre admiration qui, elle-même, s’extasie par la beauté brute, dure et violente de cette condition humaine. Néanmoins, toute cette part philosophique que le film dilate ne se retrouve jamais dans la domination de nos esprits, car nous sommes comme embarqués dans ce périple statique où chaque personnage se heurte à la fixation, la paralysie de sa suite comme l’ankylose des destins, et nous sommes secoué par la grâce de ses plans fixes et le charme de ses acteurices. Il n’y a pas de duretés intellectuelles, mais simplement de la réalité – cruelle sans doute, mais pourtant si belle.
Plus qu’hier, moins que demain, c’est un voyage immobile qui stagne dans nos flaques de souvenirs enfouis. Il ne faut pas trop en dire, car le film sait à merveille sous-entendre. Tendez donc l’oreille, levez donc les cils, et tentez de dissoudre le mystère de la vie. Cette invitation est rare, il ne faudrait pas la manquer. Les grands films sont comme les haies : si on les rate, on ne gagne rien.
Plus qu’hier, moins que demain de Laurent Achard, le 03 juillet 2024 au cinéma