Journal de bord | The White Lotus saison 3 (6/8)
Après nous avoir quitté au climax d’une nuit de débauche et de sexe, l’épisode 6 de The White Lotus reprend son rythme de croisière en s’étalant sur une journée. Ça commence à suffire ! Nous voulions y croire, nous lui avons même consacré un journal de bord à part entière. Mais malgré le soubresaut de l’épisode 5, la saison 3 ne fait que patauger le long de la côte de Ko Samui. Force est de constater qu’on est vendredi, c’est déjà l’épisode 6, dans deux jours chacun rentre chez soi, et on reste toujours penaud, sur notre faim, suppliant le prochain épisode de nous servir un peu de piment…
Aujourd’hui, chez les ultras riches en vacances, les intrigues atteignent un point de non-retour… ou un point mort ?
Em(thi)patique
L’épisode du jour installe les conséquences de la nuit précédente, nuit de Pleine Lune, révélant les natures de chacun : Tim est à un iota de se tirer une balle (deux, s’il compte sa femme) ; Chloé est sur un siège éjectable ; Laurie est trahie par la coucherie de Jaclyn, elle-même trahie par les révélations de Kate ; Rick se croit dans Kill Bill ; Piper est en plein délire socialo-bourgeois et les frères dérapent toujours plus vers leur inconscient incestuelo-homo-érotique… Autant d’intrigues qui, sur le papier, pourraient bénéficier de la signature White Lotus mais qui, dans les faits, n’ont rien d’excitant. Et pour cause : depuis le début de cette saison 3, les personnages ne suscitent ni empathie ni tendresse, relégués au rang de figures purement fictionnelles, sans âme ni profondeur. Une absence d’empathie (sans doute le levier le plus essentiel au cinéma), voire presque une antipathie, qui mène à l’équation suivante : saison presque finie + empathie 0 + rien d’universel = TWL 3 qui se contente de mettre en scène les problématiques des 5% les plus privilégiés de la planète, sans jamais provoquer la moindre émotion chez nous, spectateur·ices.
De fait, à ce stade de la saison, nous sommes en mesure de nous positionner. Or, ce troisième opus refuse de le faire : prendre position vis-à-vis de ses personnages. En découle des intrigues sans réel enjeu, ni véritable tension. Que Rick tue l’assassin de son père ? Peu importe, ça n’excuse en rien son personnage déjà insupportable au possible. Que les frères finissent par s’embrasser ? Qu’est-ce que ça changera, leur famille baigne déjà dans un climat incestuel latent. Que Laurie couche avec Valentin par vengeance sur Jaclyn ? Quelle différence, leur amitié repose de toute façon sur de l’hypocrisie et des faux-semblants.
En cash ou en carte ?
L’épisode 5 mettait déjà en lumière les dynamiques de transactions qui régissent les résidents de l’hôtel. Cet élément est repris dans ce nouvel épisode, explicitant les dominations financières au sein des couples Chloé-Gary et Tim-Victoria. Si l’épouse Ratliff n’a cessé de mépriser les femmes vénales depuis le début de la saison, elle s’avoue enfin elle-même le fruit du confort généré par son mari : s’ils perdaient tout, elle n’est pas sûre de vouloir continuer à vivre, elle n’est pas destinée à une existence dans l’inconfort, ce qui provoque chez le mari Ratliff de ridicules scènes paniquées de cauchemar au revolver. La visite du monastère, fish out of water, fait culminer l’éloignement des parents Ratliff, et annonce – on le devine – le désir du père de s’y installer avec sa fille. De même du côté de Chloé qui, après avoir couché avec les deux frères, regrette le geste tout en prenant conscience de son existence, pas si misérable.
Ces échanges monétaires s’imbriquent dans d’autres jeux de pouvoir, notamment ceux qui opposent Saxon à son petit frère Lochlan, et qui fournit peut-être l’élément le plus intriguant de cet épisode 6. Jusqu’ici figure d’une masculinité virile, conquérante, presque étouffante, Saxon avait pris Lochlan – garçon toxique en progression – sous son aile, comme modèle à modeler. Le souvenir de la masturbation de l’un sur le corps de l’autre lors du plan à trois avec Chloé, leur bromance littérale, plonge Saxon dans une posture inverse. Retournement de situation : il troque l’incisive de ses remarques contre le silence du trauma, nous offrant désormais son point de vue sous le prisme de l’incestuel durant tout l’épisode. La reprise du voyeurisme des fesses au matin pose malignement cette inversion. Ces dynamiques font écho à celles qui se jouent entre les trois amies, au sein desquelles Jaclyn est décrite par Kate et Laurie comme « n’ayant pas changée » : la plus riche, la plus « jeune », la plus populaire ; mais toujours celle obnubilée par le regard des hommes.
Dans ce slalom des crasses, Chelsea est peut-être le seul personnage qui peut encore parvenir à nous toucher et passer entre les mailles de ces dynamiques de transaction. On développe pour elle une réelle empathie-sympathie, cette dernière refusant de coucher avec Saxon parce qu’il n’a « pas d’âme ». On ne saurait trop comment la remercier.
Ça se décante
On sent arriver la fin de la saison lorsque le fils de Belinda, Zion, atterrit sur le territoire thaïlandais pour enfin retrouver sa mère. On commence à imaginer comment cela va enfin finir – on a déjà identifié d’où venait l’arme qui servira très probablement à la fusillade finale – et que la scène introductive ne sera bientôt plus un flash-forward. On reconstitue progressivement le puzzle. Il n’empêche, on reste très loin de la jambe flottante dans la mer Méditerranée qui inaugure la saison 2, élément si génial et perturbant qu’il est lui-même raconté par Chloé à Chelsea. Qu’en est-il du manager de l’hôtel ? Les saisons 1 et 2 ont placé la barre haute. À Ko Samui, pas d’addict ravagé ou de lesbienne en folie, mais un gentil monsieur qui annonce dans l’épisode du jour vouloir chanter demain soir au restaurant. Wow. Samedi, on l’imagine, se déroulera donc la nuit. À Ko Samui, tous les chats sont gris ? Espérons-le !
The White Lotus saison 3, à partir du 17 février 2025 sur HBO Max