Critique | Wicked : Partie II de Jon M Chu, 2025
Après l’immense succès international de Wicked : Partie I, l’attente de la suite du préquel du Magicien d’Oz de Victor Fleming (1939) dépassait le simple calendrier cinéphile, auto-vendu/célébré en véritable événement culturel presque déjà historique. Fort d’un premier film ayant amassé plus de 750 millions de recettes, il était difficile de passer à côté de la sortie de ce nouvel opus, dont le marketing aux coûts faramineux a tout fait pour renouveler l’exploit. C’est ainsi que les figures stars, Elphaba (interprétée par Cynthia Erivo) et bien-sûr Glinda (Ariana Grande, qui prouve encore une fois ici ses véritable capacités d’actrice) ont inondé le paratexte de Wicked : Partie II, et cela même avant sa sortie (voire jusqu’à le noyer ?). S’il en fallait une, le dyptique de Jon M Chu est la preuve que l’univers d’un film est toujours plus fort que le film lui-même. C’est lui qui pérennise, fait vendre, rend les fans fous jusqu’à séparer le monde en deux : ceux qui font partie de l’univers, et les autres. Les malins aux commandes ont eu le nez creux, étant donné que le film sort pile entre la fin de la période d’Halloween et le début de celle de Noël – la distribution américaine est une affaire saisonnière – une période creuse, donc, qui est par conséquent devenue la période Wicked. Un hasard qui n’en est doublement pas un, puisque la période pré-fête est une bonne occasion pour inonder le marché des fans de la saga de goodies et autres objets dérivés des sorcières verte et rose. Wicked : For Good le dit dès son titre : cette fois, plus de retenue, tous les moyens sont bons pour étendre les deux films et y récupérer tous les bénéfices possibles.
Chasse à la sorcière
Il est difficile de ne pas voir dans Wicked : Partie II une grande parabole sur les studios et la fabrication de ses idoles. Le premier opus nous avait laissé sur la découverte du mensonge du fameux Magicien d’Oz : ce dernier est un leurre, il n’a ni pouvoir ni magie, et gère mécaniquement une pauvre machine faite d’engrenages et de manivelles pour feindre l’illusion. Déflagration pour la jeune Elphaba face à un Jeff Goldblum (en délicieuse parodie d’un dandy aux claquettes façon Fred Astair, ce qui convoque déjà ici un imaginaire du cinéma) qui refuse de travailler à ses côtés et lui faire profiter de son don. Elle s’enfuit alors, est vendue comme « the wicked witch » tout en étant décriée par toute la société, tandis que Glinda sera choisie comme figure de reine pour les Oziens. Le film commence à l’intérieur de la fabrique de cette quasi star Hollywoodienne : Glinda est mise en scène par le « Magicien » et son bras droit, Madame Morrible (Michelle Yeoh), afin d’être la sorcière – « the good one » – capable d’être un objet de représentation et de fantasme pour la société d’Oz (jamais on évoque à nouveau le besoin que cette figure aurait d’être capable de lire le grimoire ?). C’est ainsi que ses fiançailles avec Fiyero (Jonathan Bailey) sont mises en scènes façon couple princier devant le peuple, tandis que Madame Morrible tend à la sorcière rose un balais de verre, en lui lançant : « the wand really sells it » (« C’est la baguette qui rend le tout vraiment convaincant », ndlr). Puisqu’il est bien question de vendre, le cas Wicked semble ouvrir un nouveau chapitre dans l’histoire du blockbuster hollywoodien : Wicked : Partie 1 a récolté presque deux fois plus au box-office national qu’à l’international ; un écart de réception particulièrement inédit pour cette typologie de films. Doit-on y voir la secousse de politique trumprise second mandant toujours plus restrictives et d’un besoin ressenti dans la population pour des récits de libertés incluvisives et représentations queer ? Et le cinéma dans tout ça ?
Un ennemi commun
Le charme de Wicked : Partie I résidait dans son second degré, son ironie profondément queer, mimant ainsi une forme de proximité entre les créateurs du film et ses spectateur·rices – l’ironie est une langue, presque un mystère, qu’il faut maîtriser pour le comprendre. Dans cette deuxième réalisation, l’humour est sous-tendu, bloqué dans un discours à moitié politique, à moitié assumé. L’industrie veut-elle vraiment se moquer d’elle-même ? Déjà, le peut-elle vraiment ? Matériellement, moralement ? La scène de combat à mains nues après l’arrivée de Dorothy dans le monde d’Oz, scène que l’on attendait entre les deux sorcières – quand est-ce que Glinda et Elphaba vont enfin se crêper le chignon ? – tente d’emprunter ce virage, façon reines de Drag Race (no shade), mais sans le charme espéré. On a presque envie de voir dans le parcours d’Elphaba, celui d’une jeune réalisatrice repérée en école de cinéma (faire des films, c’est littéralement user de la magie), allant jusqu’aux studios et, découvrant qu’elle n’appartiendra plus à elle-même si elle signe ici (puisque ceux qui produisent les films n’ont pas le don de les faire ?), décide alors de s’enfuir tandis que les puissants la grillent auprès du monde. Wicked : Partie II évoque en effet ce besoin de croyance, profondément entremêlé avec notre besoin d’histoires, et donc celui de cinéma. Faire croire aux Oziens que Glinda est une sorcière, rabâcher le récit officiel comme celui de la mort d’un certain Liberty Valance, tout en chantant qu’elle « couldn’t be happier » (« ne pourrait pas être plus heureuse », ndlr), alors que son rêve de porcelaine se craque et se fissure. But « they [sous-entendu, les Ozien, ndlr] will believe even more » (« ils y croiront encore plus », ndlr), alors le show must go on !
Elphaba part en croisade pour la vérité, lorsque tout le monde devient wicked sauf elle-même, et que tout le monde décide de faire partie de ce grand mensonge, cette grande mascarade (celle de l’industrie ?), alors qu’elle la réfute. Si la force du premier chapitre jouait de ses personnages caricaturaux (la première de la classe – mention spéciale au brushing qui a disparu dans ce deuxième film – et la geek creepy), le cheminement du film aboutissait à leur union, dans une amitié sincère, forte et invincible. On assiste dans ce nouvel opus à un déplacement des enjeux : plus l’une avec l’autre mais désormais l’une contre l’autre, et dont la confrontation est orchestrée non pas par le Magicien (vieux savant fou inoffensif) mais Madame Morrible, la véritable « wicked witch » (et dont le personnage est d’un sérieux glaçant – on aurait aimé une vraie vilaine-garce sauce reine de Blanche Neige), prête à tout pour faire « tomber » Elphaba. De là, deux visions du monde se dessinent en opposition : Elphaba, défenderesse des animaux et d’une vie en communauté harmonieuse, contre celle de Morrible – entendre horrible – agencée autour d’un ennemi commun. C’est en effet cette deuxième conception qui l’emportera sur la première. Elphaba, comme une victoire silencieuse, accepte de mourir en étant wicked, puisqu’il faut de toute façon un bouc émissaire, et qu’elle préfère que sa mauvaise réputation permette à Glinda de devenir good, une meilleure personne, que de continuer une lutte seule. Constat déceptif ou dépressif, que celui de continuer à croire et à faire croire dans un système où le contrôle est hors de contrôle.
Gros magma
Qu’est-ce que Wicked : Partie II si ce n’est un film qui ne repose donc que sur son intertextualité ? Un film de fans, littéralement, qui ne fait que citer son premier opus (et souffre inévitablement de la comparaison) ainsi que le film originel, Le Magicien d’Oz (et dont l’écart est encore plus stratosphérique). Si les enjeux narratifs sont désormais pris dans des dynamiques plus grandes (ce n’est plus l’histoire de Dorothy, qui reste en toile de fond et dont on ne voit même pas le visage, mais celles de deux sorcières que l’on veut rivales), le film ne s’occupe pas de grand chose que de suivre le cahier de charges narratif du roman duquel il est adapté (Wicked: La Véritable Histoire de la méchante sorcière de l’Ouest de Gregory Maguire, 1995). La force du premier opus résidait dans sa structure en grandes séquences-tableaux, harmonieuses et inclusives, qui s’enchaînaient avec une véritable évidence, donnant le sentiment de se balader sur une immense scène de spectacle. Le deuxième a totalement perdu ce principe – à quelques contre-exemples près, notamment la scène où Glinda, seule dans sa chambre, questionne ses choix en dansant face à un jeu de miroirs qui rappellent ceux de Peggy Sue s’est mariée de Francis Ford Coppola (1986), et qui est une réussite – au profit d’un fouilli musical, bondé, désordonné, et évidé de son émotion.
Dans Wicked : Partie II, il n’y a presque plus aucun vrais numéros, remplacés par un immense mashup des chansons du premier, qui se répondent en restant étanche et sans que cela ne fonctionne réellement, tout en étant accompagnés de flashbacks (un peu débiles) des deux jeunes sorcières lorsqu’elles étaient étudiantes à la prestigieuse université de Shiz. L’univers prime donc, au profit du cinéma. Et le constat n’en est que plus déceptif, alors que l’on s’était presque senti redevenir un enfant du mercredi après-midi en découvrant la première partie, déjà vieille d’un an désormais. Dans ce deuxième opus, Glinda change peut-être For Good (pour le mieux), mais ce n’est pas le cas de Wicked : Partie II.
Wicked : Partie II de Jon M Chu, le 18 novembre au cinéma.

