Entretien avec Marie Losier pour la sortie du film Peaches Goes Bananas
Qu’on la découvre par la porte du cinéma queer ou en explorant un cinéma d’avant-garde sous influence new-yorkaise, le nom de Marie Losier s’est imposé grâce à une série de portrait intimes de figures emblématiques de la scène underground, dont la mise en scène fut rendue possible par l’œil bienveillant de celle qui les filme. De Genesis P-Orridge à Cassandro le catcheur exotique en passant par la chanteuse punk Peaches, ses films saisissent la complexité de l’artiste au contemporain, vivant nécessairement en dehors des normes. C’est pourtant un cinéma poétique, mais surtout ludique, qui n’oublie jamais d’être festif. À l’occasion de la sortie de Peaches Goes Bananas, Marie Losier nous accueille chez elle pour discuter de ce nouveau film, et de tous les autres également, bien entendu. Les chaussures laissées à l’entrée, l’affiche d’une rétrospective belge de Chantal Akerman nous accueille, suivi d’un verre d’eau et d’un immense sourire qui traverse le visage de notre hôtesse. Nous sachant entre de bonnes mains dans ce magnifique cabinet de curiosités fait d’affiches et de céramiques, de bobines empilées sur les étagères et de dessins griffonnés aperçus sur un coin du bureau, nous lançons l’enregistrement…
Tsounami : Tu as tourné ce documentaire pendant 17 ans. Mais à quand remonte ta rencontre avec Peaches ? Comment ça s’est passé ?
Marie Losier : Je l’ai rencontrée il y a 17 ans exactement… et j’ai commencé à la filmer à la seconde où je l’ai rencontrée ! C’était inattendu. Cette soirée se retrouve d’ailleurs dans le film. Parce que la bobine que vous voyez, c’est comme pour tout : je ne cherche pas un sujet, c’est une aventure qui m’amène vers une autre rencontre quoi ! En 2006, je suis partie de New York avec Genesis P-Orridge, qui était en tournée, pendant ma seule semaine off de l’année. Et dans le couloir, comme on le voit sur la bobine, a déboulé Peaches qui était encore avec une autre coiffure. J’ai compris dix ans plus tard que c’est en fait Genesis P-Orridge qui avait fait la première de Peaches, et non l’inverse !
T : C’est dit dans le documentaire à un moment d’ailleurs.
ML : J’étais à l’ouest, je ne savais pas trop qui était Peaches. Comme elle m’a tout de suite entraînée dans les costumes et qu’elles avaient l’air de très bien s’entendre (Peaches et Genesis P-Orridge, ndlr), c’était une très belle rencontre entre elles. C’était beau pour moi quand on a commencé à monter le film, de retrouver cette première bobine.
T : Donc la première fois que tu la filmes, tu ne sais pas encore le devenir de cette image. C’est magnifique.
ML : Rien. C’est resté sur l’étagère pendant des années, sans savoir que ça deviendrait un long métrage.
T : Il y a des laps de temps où tu ne filmais pas du tout ?
ML : Oui, c’est 17 ans comme un bon gruyère avec des trous ! D’abord parce qu’il y a aussi la vie matérielle. Moi je n’étais pas du tout dans une économie où il y avait de la production, je ne connaissais rien de tout ça. C’étaient des questions qu’on ne se posait même pas. Ce qu’on essayait, c’était de filmer en bossant à plein temps, mettre un peu d’argent de côté, acheter des bobines et filmer « quand la vie se présente ». Donc Peaches est revenue à New York plusieurs fois après cette première rencontre, elle m’a écrit et proposé de prendre un café. On s’est revues, et c’était tellement facile après l’avoir filmé en 2006 qu’elle m’a tout de suite embarqué chez sa sœur Suri. Ça s’est fait très naturellement et c’est ce qui fait que ça a commencé à être un film sans que je le sache complètement. On voit aussi l’évolution de la manière de filmer, parce qu’il y a 17 ans, c’était quand même mon premier long. J’étais toute seule comme d’habitude, à faire la caméra et le son… c’étaient des images volées avec Peaches. Il y avait de la vidéo, du téléphone, un mauvais enregistrement… et je sais qu’avec le temps, j’ai quand même appris aussi à tenir une caméra différemment, à penser différemment, à organiser différemment les tournages. Même si ça restait la même économie jusqu’à la rencontre avec Carole (Chassaing, productrice du film, ndlr), pendant la pandémie pour finir le film.
T : C’est donc à la pandémie que tu prends conscience que ces images vont devenir un film ?
ML : Il y a eu beaucoup de difficultés dans ce film parce que j’ai atterri en Europe, à Berlin en 2013 avec une bourse pour une résidence, le DAAD, qui me permettait pendant un an d’avoir un petit salaire, un revenu et un lieu où dormir. Et donc pour la première fois de ma vie, ne pas bosser à plein temps, être en Europe, ce qui était totalement nouveau pour moi. Et donc aussi de continuer et reprendre le travail avec Peaches, qui avait été mis en pause depuis un moment parce qu’elle était à droite à gauche, et moi je finissais plein d’autres films ! Mais ce qui était dingue, c’est que j’ai eu un petit appartement, donc un tout petit studio et quand j’ai donné à Peaches l’adresse où j’habitais, elle a éclaté de rire et elle m’a dit « mais Marie, c’est le bâtiment contre mon mur ». C’était fou parce que j’allais faire mon linge et boire des jus de fruit chez elle. C’était « Allo t’es prête ? Y’a un jus qui t’attend ! ». Ensuite il y a eu d’autres événements, j’ai commencé le film sur Cassandro, donc ça a aussi mis en stand by ce film. Puis il s’est fait de la même manière qu’il a commencé, par à-coups, par distance, par reprise, par suivi, au rythme d’une vie. Et pendant la pandémie, quand Carole de Tamara Film avec qui j’ai fait Cassandro m’a dit « Écoute Marie, tu peux pas laisser un film comme ça sur une étagère. Les temps sont vraiment durs, t’as pas de projet en ce moment », j’ai recontacté Peaches et on a trouvé quelques bourses pour finaliser le film, approfondir certaines scènes, faire certains tournages de concerts, des interviews, retourner à Berlin, pendant deux ans. Et après on a commencé le montage qui a été un autre étape.
T : Quand tu dis que tu travaillais à côté, c’était sur d’autres films ? Ou un travail alimentaire ?
ML : Toujours alimentaire, depuis toujours. Parce que c’est vrai que le cinéma underground de New York, c’est un cinéma d’autodidacte pour beaucoup d’artistes de divers médiums, que ce soit dans la poésie, l’écriture, la performance, le jeu d’acteur, la musique… Et le cinéma, c’était fait entre potes, qui avaient toujours, comme moi, cinq boulots. Donc les films se faisaient au rythme de la vie et je n’avais aucune pression, mais aussi aucune aide non plus ! J’ai tenu un job pendant treize ans au cinéma de l’Alliance française où je dirigeais la programmation. Donc c’était être devant et derrière la caméra. Mais faire des films j’en parlais pas, c’était le truc à côté. Donc les films se faisaient aussi au rythme de ce qui était possible par rapport à mon temps et mon argent.
T : Avec une telle durée de tournage, on imagine que tu avais énormément d’heures de rushes, non ?

ML : Alors j’avoue que c’est pas non plus l’infini dans les rushs, parce que je ne suis pas quelqu’un qui filme des milliards de kilomètres. Surtout, parce qu’il y a l’économie de la pellicule et que ça coûte cher ! Et quand on filme en pelloche (16mm), c’est trois minutes. Trois minutes dont on rembobine la bobine toutes les 25 secondes. Donc c’est pas non plus des plans en continu, synchro, etc. Il y a une pression, une intensité au moment du tournage qui fait que je filme jamais des scènes dont je n’ai aucune idée de ce à quoi ça pourrait servir, ou si c’est vraiment un bon moment ou pas. Il y a beaucoup de tourné-monté. Ce qu’on retrouve dans le film par rapport au concert par exemple.
Par contre, le son c’était l’enfer. C’était des kilomètres et des kilomètres d’écoutes à faire et des sons très très mauvais. À savoir quand on met un zoom dans une pièce, et que la personne est à l’autre bout, il y a des moments très importants qui se passent et on se dit « merde, je ne peux pas l’utiliser ». Mais en même temps, il y a peut être une phrase ou une atmosphère de ce qui se passe qui relie les images aux sons, qui permet d’utiliser un bout. Mais il faut tout écouter. Et ça a été un travail de titan avec la monteuse Aël Dallier-Vega, qui est formidable. Et puis après, il y a eu un très beau travail, pour la première fois pour moi, de montage sonore et de mixage. Cette étape a été incroyable parce qu’habituellement c’est fait en deux jours ; là, on a passé deux semaines, c’était le plus long que j’aie jamais fait. Et Rémi (Gérard, en charge du montage son, ndlr) qui est musicien et aussi mixeur, a vraiment repris et sauvé des voix. Par exemple, la voix de Suri, qui est quand même très fragile, faible, il l’a mise en valeur et a réussi à la traiter pour qu’on l’entende bien. Il a aussi sauvé des concerts où il a recomposé des morceaux avec le beat pour sentir que la musique ait l’air d’être une musique de concert et pas une musique de cinéma, pour qu’on ressente comme à un concert la vibration, que les basses viennent dans le corps et vibrent.
Et ça, c’était quelque chose de très fort pour moi, de très important pour la matière brute du film qui passait quand même pour la plus grande part par le grand nombre d’archives de Peaches. En fait, elle avait 7 To d’archives, c’était l’enfer (rires) ! Moi à côté, c’était du pipi de chat mon nombre de rushs. 7 To c’est ouf ! Donc il fallait voir : est ce qu’on construit le film par rapport aux archives ? Comment ? Finalement, il n’y en a que trois petits bouts, très importants pour le film. Il fallait vraiment les sélectionner et voir où le film allait dans son montage, quelle était la direction narrative pour savoir où aller piocher. Quand tu regardes une archive, tu te laisses complètement porter, tu oublies même ton film. Tu te dis que « Ah c’est c’est génial ! », et tu oublies le sujet même de ton montage parce que t’es pris dans des archives.
T : Avec le 16mm, c’est que trois minutes pour cadrer. Ton film final aussi, est très court. Est-ce que tu t’es « cadrée » aussi dans une durée finale ou pas du tout ?
ML : Jamais. Mais ce qui est drôle, c’est que sans jamais me cadrer en rien bizarrement, mon premier film durait 72 minutes, le deuxième 72 et le troisième 73. Alors je ne sais pas, ça doit être dans mon sang !? On en a ri d’ailleurs avec Aël (Dallier Vega, ndlr) ma monteuse, à la fin, quand je lui ai demandé « Il fait combien de temps ce film ? », qu’on regarde et on se dit « Non, c’est pas possible, c’est la même durée que les autres ! ». C’était une surprise pour nous aussi.
T : Le fait de connaître Peaches depuis autant d’années ne t’a pas rendu le montage contraignant, avec l’envie de tout garder ? C’est impressionnant que le film ne fasse « que 73 minutes ».
ML : Non ? Je ne sais pas, j’ai un compteur intérieur qui fait que j’arrive très bien à jeter des rushs sublimes qui racontent autre chose, ou des rushs très beaux mais qui ne fonctionnent pas dans ce qu’on a choisi de raconter. Ce n’est pas difficile du tout pour moi, parce que de toute façon, je ne ferai jamais un documentaire sur quelqu’un ou quelque chose qui ne m’intéresse pas ou pour lequel je n’ai aucune vibration.
T : J’ai l’impression que les personnes qui filment en pellicule ont peut être aussi un rapport au temps plus conscient. Un cinéaste disait que des personnes qui ont l’habitude de filmer en pellicule vont presque naturellement avoir tendance à filmer par blocs de trois ou sept minutes.
ML : Oui, on ne laisse pas du tout courir le temps. Je le vois même en enseignant : avec les étudiants, c’est très parlant, parce que je vois qu’ils filment mais qu’ils n’arrêtent pas la caméra, qu’ils ne sont pas sûrs de leurs plans. Ils disent toujours « on verra au montage », « on verra à la post-prod ». Alors que quand tu filmes en pellicule, ce que tu filmes c’est ce qui doit être. Moi qui viens vraiment d’un milieu où il n’y avait pas de post-prod, tu te dis « ce que je filme, ça doit être exactement ce que je veux visuellement, avec les effets spéciaux, avec la surimpression ». Donc c’est un travail qui est réalisé au moment où on filme et pas après.
T : Il y a déjà une conscience de l’objet fini au moment de le filmer ?
ML : Pas totalement. Il y a une conscience de ce qu’on n’a pas envie de filmer plutôt.
T : Ce film est « plus identifiable » que d’autres que tu as pu réaliser par son genre : c’est un documentaire musical. Était-ce contraignant ou agréable d’avoir une espèce de cadre fixe ?
ML : Ce n’est pas du tout un cadre, rien n’est fixé. Ce film est exactement comme pour Cassandro ou La ballade de Genesis, il n’y a aucun désir et aucune conscience d’un cadre. Justement, c’est presque l’inverse. C’est-à-dire que je fais le film, et je ne pense pas au fait qu’il soit un documentaire, une fiction ou un film expérimental. Je fais juste un film et je ne me pose jamais la question de savoir dans quoi ça rentre. Je me dis jamais « ça va être un film musical ». D’ailleurs, avec le résultat de Peaches Goes Bananas, je pense que je vais décevoir des fans musicaux parce que c’est pas tellement sur ça, c’est aussi un film sur l’état du corps, la famille, ce que c’est que d’être une femme et de vouloir continuer à créer peu importe l’âge, de continuer à expérimenter, de trouver un public, d’exister et d’avoir aussi une vie très fragile à côté… Ce que c’est que la scène et ce qui est derrière la scène d’être « autre » et d’avoir besoin d’exister et de créer à partir de rien.
T : Au-delà de faire un cinéma queer, tu montres la dualité des personnes. Dans Genesis, il y a cette idée de deux personnes qui veulent devenir une, le principe pandrogyne. Mais dans Peaches, il y a presque de ça, au sein même de sa personnalité : elle se dédouble et tu la vois dans l’intime avec pudeur, mais aussi sur scène les seins à l’air. Elle est insaisissable, ça la rend très touchante. Tu peux nous parler un peu de ce rapport de dualité ?
ML : C’est vrai qu’il n’y a pas un principe queer à raconter ou à défendre. C’est important qu’il y ait des portes ouvertes pour tout le monde, peu importe l’endroit où ça se passe. Je pense qu’un des plus beaux compliments qu’on m’ait fait, c’était un couple de personnes âgées qui n’avait jamais vu un film de moi, qui ne savait pas dans quoi ils s’embarquaient pour voir La ballade de Genesis…, et qui sont sortis en disant « oh bah même moi ça m’a parlé, j’aimerais bien être toi et toi moi ». C’était le plus beau compliment de ma vie, dans le sens où ça peut s’ouvrir à n’importe qui et pas qu’un milieu queer, féministe ou arty ! Mais oui, ça reste des ovnis, des films pointus. Je me rends compte qu’il y a plein de gens qui ne connaissent pas Peaches, d’autres qui la connaissent, mais d’une certaine époque.
Et en même temps, ça parle juste d’être et de vieillir, d’avoir beaucoup de personnalité en soi. Parce que c’est ce qu’on est aussi en tant qu’artistes : le film sort en salles, tout le monde pense que c’est la gloire, mais en fait la plupart des artistes crèvent la dalle parce qu’on ne vit pas de ce qu’on fait. Le film est distribué, mais je ne touche pas un copec. Pour faire des films comme ça, il faut avoir 1001 vies. Être artiste ou être humain, c’est déjà des couches insensées de personnalité pour pouvoir jongler avec la vie, les jobs, l’amitié, l’amour. C’est 1001 personnalités, c’est des masques et ça s’épluche. Je viens de finir un film sur The Residents. Vous connaissez ? C’est un groupe qui est inconnu, invisible, c’est sur l’anonymat. Ils n’ont jamais révélé leur visage, ils ont influencé les Daft Punk et ont cinquante ans de carrière. Ils sont très connus pour n’avoir jamais été révélés, malgré leur gros masque d’Œil. Mais justement, ils ont 1001 têtes. Ils peuvent être libres parce qu’ils ont des masques. Quand on à des masques, on arrive à être libres à certains endroits. Moi je dois porter des masques pour présenter mes films, alors que je ne suis pas du tout à l’aise et assez timide face à ce monde-là. Il faut mettre un masque social, un masque de pudeur, un de colère… Il faut savoir avoir plusieurs masques dans son sac pour pouvoir survivre. C’est ce que fait Peaches, et qu’elle sait si bien faire. Elle mâche pas ses mots comme dans ses chansons, tout est dit, mais c’est dit avec son art.

T : Elle joue beaucoup avec ça. On le voit dans le film, quand elle fait exprès de dire qu’elle a chanté tous ses tubes, pour que des mecs de 40 ans en costard lui crient « mais non Peaches ! Tu as oublié Fuck the pain away ! »
ML : Ce qui est beau, c’est qu’elle a compris tout cela quand elle enseignait aux enfants. Elle a compris que son public, c’était comme les enfants qui se mettent le doigt dans le nez, qui n’ont aucun masque. Elle a compris comment se comportait son public à travers son enseignement (de prof de musique, ndlr).
T : Quand est ce qu’elle a découvert le film ?
ML : Alors bien sûr, les gens qui sont filmés savent ce que tu filmes. Donc elle savait de quoi il était question quand même, il n’y avait pas de surprise extraordinaire là dedans. Après, la façon dont le film était façonné, elle l’a découvert quand je suis allée à Berlin lui présenter. J’ai été voir ma sœur en février dernier, donc au moment où il y avait un autre film sur Peaches qui sortait. Elle ne m’a pas du tout fait de retour. Être sûr que je peux monter ou pas, ce n’est pas une façon de faire pour moi. Après, elle a vraiment joué le jeu d’accepter le film tel qu’il était, parce qu’elle savait aussi de quoi il était fait et qu’elle en avait vraiment envie. Parce que c’était très intime et qu’elle tient tellement à sa sœur que c’était quelque chose d’essentiel pour elle. Mais on a fait quelques petits ajouts de voix, de choses qui manquaient, des choses comme ça ou qui étaient très mal enregistrées et dont la tonalité n’était pas la bonne. Mais globalement, la découverte du film s’est vraiment faite à Venise, à la Mostra, parce que d’un seul coup, l’écran était immense, le son était génial, il y avait 500 personnes et elle découvrait le film avec moi et le public. Et moi aussi je le découvrais (sous ces conditions là, ndlr). Et elle a pleuré. On a fait un super Q&A. Je crois que c’est le meilleur cadeau, ou la façon de le découvrir qui était la meilleure pour elle, pour moi, pour l’équipe. Venise, c’est beau quoi.
T : J’imagine que ça change tout de voir son film projeté avec des gens autour !
ML : Oui, ça n’a rien à voir avec le fait de le montrer dans le salon de ma sœur sur une télé (rires). Là, tu te rends vraiment compte de tout le travail fait sur le film.
T : Pour finir, ce prochain film sur The Residents dont tu as commencé à parler, c’est définitivement le prochain film sur lequel tu travailles ?
ML : Non, il y a plein d’autres choses (rires) ! Tout se chevauche parce que comme souvent, c’est des films qui sont faits d’une certaine fabrique. Il vaut mieux qu’ils se chevauchent parce que certains peuvent prendre 6 ans, d’autres 7 et d’autres 17. Donc il y a intérêt à ce qu’ils se chevauchent pour pouvoir garder de l’entrain. Je viens de finir le film qui s’appelle Parking in the Dark sur The Residents après six ans. C’est un moyen métrage qui sera diffusé au Forum des images le 23 avril. Il y a aussi un début de travail, quelque chose que j’attendais avec un grand, grand, grand désir depuis trois ans, à savoir un portrait documentaire sur une chorégraphe capverdienne que j’aime par dessus tout, et qui m’inspire terriblement dans cette folie du corps et d’intensité. C’est Marlene Monteiro Freitas, qui fait un nouveau spectacle qui va ouvrir à Avignon, dans le Palais des Papes. Et je travaille aussi sur un autre film que je dois reprendre quand j’aurai le temps, qui me tient fortement à cœur. J’ai pas encore trouvé exactement l’écriture, mais c’est une comédie musicale qui s’appelle Sugar Bomb, qui est basée sur le sucre comme une sorte de drogue qui procure la folie, l’envie de danser, d’être libre. Et qui donc, bien sûr, doit trouver son écriture, parce que j’ai jamais fait de fiction. Mais il y a de la fiction dans le documentaire, la fiction est révélée et conçue par le documentaire, par la réalité. Donc d’aller à l’envers, c’est très compliqué pour moi, je dois retrouver le documentaire à travers la fiction pour être juste dans l’écriture.
T : Est-ce que tu es danseuse toi aussi ?
ML : En fait, j’étais gymnaste gamine, c’était ma passion. Je faisais de la gymnastique acrobatique : il y avait les poutres, les barres asymétriques, le sol, tout ça. Et puis, accident sur accident bien sûr, c’est un truc dans le corps qui demande une telle discipline qu’il faut encaisser… C’est une certaine façon de contrôler et de maîtrise du corps qui m’a servi aussi pour la suite. Et après un certain âge, le corps change, donc je me suis plutôt orientée vers les claquettes, parce que ça me passionne et que Chantons sous la pluie était mon film préféré, puis vers la danse contemporaine. Après, je suis partie à New York et j’ai découvert l’art et le cinéma. Et c’est vrai que d’un seul coup, du corps, j’ai basculé vers filmer le corps et les autres, le corps qui performe. La façon dont Peaches est filmée, c’est une danse à deux.
T : Elle est tellement incarnée et imposante, elle a un fort charisme qui passe par le corps. Voir ces corps en mouvement et à cet âge-là, ça fait du bien. Voir qu’elle s’en fiche, qu’elle montre tout, qu’elle donne tout à son public.
ML : C’est une danse aussi, ce qu’elle donne. C’est une sorte de transe, elle rend les gens fous avec beaucoup de joie. Ce qui fait beaucoup de bien, parce que c’est pas souvent évoqué, mais faire un film sur la joie du corps, ce n’est pas donné. Et c’est vrai qu’à l’époque, je pouvais filmer, ce qui est plus beaucoup le cas dans les concerts aujourd’hui, sur scène. Je pouvais me faufiler sur scène et danser avec elle, au plus près de son corps.
Peaches goes bananas de Marie Losier, en salles le 5 mars 2025
Entretien réalisé par Zoé Schulthess Marquet et Nicolas Moreno
à Paris le 3 mars 2025.