Un ravissement

Critique | L’amour sur le chemin des roncettes de Sophie Roger | FID 2025

Effleurant les pistils, écartant les pétales, l’on pénètre jardin et atelier, là où Sophie Roger trouve L’amour sur le chemin des roncettes. Trois jeunes pousses se faufilent sur ses balbutiements, le vent fait danser les « voilà » de sa mise au point sur les céleris en fleurs et les bourgeons flous devenus nets, un zoom jusqu’à voir les grains.

La cinéaste se promène et, de sa caméra, récolte les motifs des arbres et de leurs branches d’un bout à l’autre de l’image. Dans l’objectif et en contre-jour, l’araignée dévore la phalène tandis que les contours des légumes se dessinent en nature morte sur feuilles vertes et les nervures des fleurs de courge s’impriment sur papier froissé. Roger met à plat, inscrit dans le papier et à l’écran les empreintes des plantes qui s’érigent sur les nuages, ceux qui assombrissent l’humeur. Un rectangle imprécis se forme sur quelques fragments de Barthes, une récolte d’autant de figures amoureuses – des notes des êtres aimés. Roger pousse et écoute l’écorce, l’oreille sur tronc, de son relief s’inscrit sa topographie à la mine du crayon. De ces traces et de ces creux, une politique du sensible s’établit, une relation charnelle. Les rais du soleil effleurent les rails alors que l’on frôle l’œil de la grotte et le métal des machines. La matière se déplace encore, face aux discours théoriques impalpables, dans les chants fredonnés avant la course au pipi dans les bois, au bord de la route, ou encore par le mime d’une auto-crucifixion, épousant le corps d’un épouvantail sous un ciel tonnant d’oiseaux. 

Elle apparaît par la nature, derrière les rameaux maigres, s’approchant de la caméra et non l’inverse. Le mouvement de Sophie Roger est celui d’un retour aux sources, d’un rembobinage à rebours de son temps. C’est une quête par les pétales, aux creux des pistils, où les enregistreurs du réel et autres caméras ne vont pas de soi. Elles nous observent, certes, elles nous épient, mais les mouvements qui les dominent sont ceux de la flore et de la faune. Sans doute un devenir plante ou animal se trame dans la nudité exposée de la cinéaste. Son corps s’entremêle et fond dans le cadre, comme une métamorphose, façon Ovide, un mélange des espèces, un art qui transforme, un art qui transmute. Par les mots, par l’amour comme par les racines, tout grimpe, tout prend vie. Sophie Roger séquence son œuvre de panneaux particuliers, concrets, des pages de livres, des mots imprimés et des mains gesticulantes par-dessus. Les mots nous tournent autour. Mieux vaut les suivre pour ne pas se perdre dans notre humanité. L’amour existe au bout du chemin ; même si le chemin picote, façon roncettes.

Par dessus le tronc dans la neige, le corps animal, se glissent en écho les noms énoncés dans la brise ; ils se perdent du côté de la biche. Lola Chienne saute dans le cadre comme dans les buissons pour repartir avec Roger. Espèces compagnes lisant pattes sur pages Virginia Woolf, elle s’affectent, s’ajustent l’une à l’autre dans une existence commune, dansant au bout de la nuit sous les yeux de l’araignée esseulée, énamourée. Par cet herbier-bestiaire (rappelant les Sept Promenades avec Mark Brown de Pierre Creton et Vincent Barré), Roger récolte sans extraction, entre en relation. Elle construit des outils de contact, tisse avec le vivant une écologie des traces, coud des histoires d’interdépendances. Au détour du chemin des roncettes, le devenir-avec se fait possible, là où l’on partage le même espace amoureux, l’on se laisse ravir, l’on s’énamoure.

L’amour sur le chemin des roncettes de Sophie Roger, FID 2025