Critique | Sept promenades avec Mark Brown, Pierre Creton et Vincent Barré, 2025
Quelques visages d’Un Prince surgissent, reviennent ; ils étaient ces corps emplis de désirs et d’envies, là où la sexualité poussait et où les rêves et la ruralité luisaient. Façon Michon, l’omniprésence charnelle y entrecroisait campagne avec tendresse et – façon Creton – elle se trouve pleine de poésie et d’affection. Alors ici, derrière les brins et les rameaux, de nouveau, ils sont tous là (ou presque). On reconnaît la voix du cinéaste et les visages de Vincent Barré, Antoine Pirotte et Pierre Barray. Ils ont ensemble comme projet fou d’enregistrer pétales et racines, pollens et pistils ; de cloîtrer à l’argentique toutes celles qui, sans s’accroupir, ne se voient pas – construire ensemble une sorte de véritable écosystème de cinéma. Façon Mark Brown, héros du film : reconstituer une forêt primaire en Normandie.
Les Sept promenades avec Mark Brown sont faites de deux fractions, deux caméras, une numérique, une pellicule. La première est une petite DV, portée à la main, accompagnant sans trépied les déambulations et découvertes de tout un groupe. Elle enregistre l’arrière du film qui suivra – nommé L’Herbier – et qui constitue la passion florale de Brown lui-même, créateur du jardin normand qu’un panneau d’entrée précise. De ses illimitées connaissances, il présente chacune des fleurs, chacune des vies. Ici, tout l’intérêt de filmer se trouve dans la coexistence avec cette flore et sa faune ; car un herbier photographique ne capte ni vent ni pollinisateur actif, tandis qu’un herbier cinématographique sauvegardera, lui, les caresses de l’air et les étreintes des syrphes. Car l’autre est l’argentique, la possibilité de peindre le monde sur pellicule. Creton et Barré se sont alors partagés les tâches : le premier s’occupe de l’expérience, les promenades, tandis que le second capture ces merveilles telluriques. Ensemble, ils proposeront une expérience qui, derrière son minimalisme simple, se trouve être une innovation esthétique de haute volée.
Ont-ils quelques ascendants qui furent gardes forestiers ou fleuristes de renoms ? Quelques familles botanistes ou cinéastes de grandeurs ? Il est difficile de trouver au préalable de ces sept promenades d’autres gestes similaires car, derrière la simplicité des détails, tout semble novateur, avant-gardiste, épris d’un geste sans bordure, sans école ni contrainte. Y-a t-il une filiation ? On y mettrait bien de la musique comme dans un Jarman, propose Mark Brown au creux des fleurs et plus joyeux que jamais. Car cette errance, parfois musicale, ratiboise les racines avec jouissance. Le geste est pur, simple, il bouscule tous les terrains connus, il chamboule l’approche cinéphile, élevant le septième art dans ses hauteurs du quotidien. C’est la claque de janvier, tentative de caresse réussie. Et quelles vies minuscules, autres que les humaines, se trouvaient depuis trop longtemps délaissées par les cinéastes ? Sans doute la pousse et ses trésors ; alors silence, et voici leur lumière.
Sept promenades avec Mark Brown de Pierre Creton et Vincent Barré, en salles le 15 janvier 2025