Bronzer avec les Joëlle

Critique | Au bain des dames de Margaux Fournier, 2025

Joëlle et ses amies septuagénaires arrivent sur leur plage habituelle, le Bain des Dames à Marseille. Accueillies par un « SOUTIF OBLIGATOIRE LES VIEILLES » tagué sur le mur, un dégrafage de soutien-gorge suivi d’un « FUCK ! » agrémenté d’un double signe de doigt font office de réponse. Au bain des dames est le premier court-métrage de la réalisatrice Margaux Fournier, sélectionné en Compétition Contrebande Courts-Métrages du FIFIB 2025. Tourné à Marseille, sa ville natale, nous suivons une bande d’amies retraitées refaire le monde sous le soleil et l’eau salée de la Madrague. 

Leurs corps sont brûlés par le soleil, seins découverts ou non, pieds à l’air et sable collé à leur peau face à cette eau turquoise. Elles y discutent du temps qui passe, de leurs paupières qui tombent sous l’effet de l’âge, de la chirurgie esthétique, son coût et sa légitimité. L’acceptation de son corps qui prend les marques du temps. L’attrait pour des hommes qui ont des « gueules », qui ont vécu, qui ont vaincu. 

En effet, la séduction n’est pas l’apanage des jeunettes. Ça se drague et ça bave sur ces autres hommes retraités, l’un caresse les poils de son torse nu sur la plage (c’est en fait l’oncle de la réalisatrice) puis vient ramasser une babiole tombée par terre tel un gentleman, le tout en ralenti. Il n’a pas donné son numéro, tant pis pour cette fois. Joëlle est plus chanceuse, son French Kiss avec cet amant rencontré le jour du tournage finira peut-être en histoire d’amour ? L’une est mariée et doit d’abord faire la cuisine à son mari avant de pouvoir rejoindre la bande sous le soleil. Attention à ne pas rentrer trop tard car Roland l’attend sur le parking ! L’autre est célibataire, et rencontre ses amants sur Internet (Badoo et Facebook, de l’aveu de la réalisatrice pendant les questions-réponses). Elle conseille les miracles de la drague numérique à une autre prétendante, qui lui raconte sans lésiner les détails de sa dernière aventure sans lendemain, avec comme point d’orgue la question cardinale : qui doit amener la capote, l’homme ou la femme ? Cinq minutes de discussion ne permettront pas de trancher.

Leur corps, elles l’assument fièrement, mais elles en sont parfois peu fières, la faute à des remarques d’ex-mari datant d’il y a des décennies. À leur âge, il n’y a pas de #MeToo, leur époque, le présent, les a fait taire sur les réalités de leurs vies conjugales. La deuxième Joëlle est lumineuse, mais son sourire aux lèvres et son apparente insouciance cachent une histoire lourde qu’elle livrera à la cinéaste face caméra, à l’écart de ses amies. Après un mariage heureux et trois années de plaisir qui n’annonçaient pas la suite, voilà que l’escalade de la violence s’installe. Un mari jaloux, trop, c’est un euphémisme, et le paroxysme, une menace de mort fusil à la main, la mène à une demande de divorce, des dépôts de plaintes, un suicide – celui du mari. À elle de conclure sur cet épisode, d’une impressionnante résilience : « Les maris, ça va ça vient ! » 

Rien n’est plus grave ni tabou sous cette chaleur. Elles n’ont plus rien à prouver. Ça se baigne, ça mange, ça rit, ça joue avec le chien Pastis qui a son propre petit parasol. Aux jeunes qui mettent du Jul sur la plage on fait mettre L’envie de Johnny. Des myriades de petites aventures commencent et s’arrêtent sur cette plage, suffisamment pour tenir en haleine pendant des heures. Ce documentaire nous plonge dans le quotidien estival de ces Marseillaises que nous voyons du coin de l’œil sur la plage mais que nous ne voyons pas bien. Ici à l’écran éclatent enfin au grand jour leurs amours, leurs peines, leur intimité, ce qui fait d’elles des êtres uniques, au-delà d’une vieillesse trop souvent essentialisée.