Critique | Full River Red de Yimou Zhang, 2024
Carton d’introduction, contexte : Chine médiévale, XIIe siècle, déjà un mort. Quelques lignes blanches sur fond noir suffisent à donner le ton, avant même que le film commence : Yue Fei, héros historique de la dynastie Song qui s’est illustré dans la guerre contre les Jin, a déjà trouvé la mort à cause du comploteur frère ennemi Qin Hui qui devient chancelier au service de l’Empereur. Trahisons, meurtres, (dés)honneur, héroïsme : voilà exposé on ne peut plus clairement le programme de Full River Red.
Quatre ans après ces événements, Qin Hui et son armée rencontrent un diplomate Jin, assassiné pendant la nuit. Deux soldats, Zhang Da et Sun Jun ont deux heures avant l’aube (l’unité de temps est posée : la durée du film sera celle de l’enquête) pour retrouver le(s) coupable(s). Déambulant avec urgence dans un dédale de rues écrasant, les deux soldats seront témoins d’une étrange partie de poker entre tous les protagonistes à laquelle les voilà forcés de jouer. La mise de départ : la vie, parfois quelque chose de plus grand encore. Du veilleur de nuit aux directeurs du cabinet du chancelier en passant par des danseuses, quelques soldats gradés ou non et un duo de sourdes-muettes, chacun cache son jeu, le dévoile à des adversaires soigneusement choisis, bluffe pour amener les autres à se révéler ; et Zhang Da et Sun Jun qui paraissent au début subir les événements s’avèrent finalement des joueurs aussi expérimentés que les autres. Personne n’est vraiment qui il semble être, traîtres, espions, anciens ennemis infiltrés, coupables à l’air innocent, innocents à l’air coupable. Les objets eux-même se déguisent : un couteau à lame escamotable permet de tour à tour de massacrer ou d’épargner, des sceaux impériaux perdent toute valeur et une mystérieuse lettre au centre de toutes les recherches disparaît, réapparaît, est remplacée par une autre, pour finalement s’avérer cacher un message de plus grande importance. De rebondissements en rebondissements, un sentiment d’absurdité s’installe petit à petit, et le polar se mue un peu malgré lui en comédie grotesque.
Une règle tout de même dans cette farce mortelle : la hiérarchie. Pour éliminer un adversaire plus haut placé, mieux vaut avoir caché de solides atouts dans sa manche. Le chancelier lui-même n’est pas intouchable, effrayé par un spectre et une ombre, celui de Yue Fei qu’il a assassiné et celle de l’Empereur, son seul supérieur hiérarchique. Chacun semble jouer pour soi-même mais presque tous s’avèrent en fait miser au nom d’une même notion dont ils ont pourtant une conception différente : l’honneur. Cet immense jeu de piste à ciel ouvert ne parvient pas à masquer ses trop nombreuses faiblesses de mise en scène et d’écriture. Le dispositif, intrigant au départ, finit par épuiser par sa redondance : les deux heures données aux personnages pour résoudre l’affaire s’étirent à l’excès dans une aube interminable simulée par une photographie qu’on finit presque par trouver pauvre, et les décors écrasants paraissent remarquablement peu habités, échouant à n’être rien de plus qu’une toile de fond sans présence véritable. Quand à la fresque historique vendue, son dénouement donne hélas l’effet d’un pétard mouillé, en tout cas pour le spectateur peu familier du roman national Chinois : ce jeu de massacre n’aura servi qu’à révéler un poème et il semble admis que cette hécatombe était un prix juste à payer.
Full River Red de Yimou Zhang, au cinéma le 31 juillet 2024