Compte rendu du Festival du moyen métrage de Brive 2025
Situé à 4h30 de Paris en TER Intercité, Brive-la-Gaillarde recèle au mois d’avril deux secrets : tout d’abord, un petit cinéma de trois salles qui troque sa programmation habituelle pour un festival de moyens-métrages, et ensuite, une population qui ne bronche pas face à l’effritement des arbres, provoquant chez le festivalier étranger une réaction allergique permanente, incontrôlable. Soyons gaillards, fuyons, et réfugions-nous dans les salles obscures, à l’abri de la nature qui s’éveille…
Mais qu’est-ce qu’on peut bien voir à un festival de moyens-métrages ? Qui réalise un tel type de films, dans quelle économie peut s’épanouir un tel format ? Alors que nous pensions découvrir des films de cinéastes s’apprêtant à passer au long, la réalité nous surprend. Un format bâtard et généralement délaissé se voit assez naturellement réapproprié par des artistes beaucoup plus libres qu’à l’accoutumée, peu pressés par l’exigence de rentabilité et de carrière : des premiers films faits avec du fil, du broc et des copaines, d’autres réalisés par des cinéastes que l’on suit volontiers dans les marges (Losier, Poggi et Vinel…), ou encore des moyens métrages de patrimoine, qui répondaient alors à d’autres exigences : un extrait d’un film à sketch (Monicelli) ou des durées qui renvoient aux standards américains d’une autre époque (McCarey, dont le film durait 60 minutes tout pile)… Entre films de compétitions et séances spéciales de patrimoine, on oscille entre les trois salles du Rex. En voici un compte-rendu de ce que l’on a pu y découvrir durant ces quelques jours.
Boccaccio ’70 : Renzo et Luciana de Mario Monicelli (1961)
Renzo et Luciana sont amoureux. Ils sont aussi des employés, ils gagnent leur vie comme ils peuvent, économisent pour s’offrir un appartement et quelques meubles, bref, c’est la galère, mais c’est joyeux, parce qu’ils sont amoureux ! Le problème, c’est qu’ils ne peuvent pas se marier. Une clause dans le contrat de travail de Luciana l’en empêche. Alors ils le font en cachette. Luciana est mariée, mais Luciana est toujours célibataire. Lorsque son supérieur commence à lui faire des avances, Luciana ne peut pas compter sur Renzo : en plus d’être bête et jaloux, il ne peut de toute manière pas intervenir. Alors pareil, on trouve des solutions, on s’arrange, on court à droite à gauche. Les hommes autour de Luciana ne lui rendent pas la vie facile, encore moins le patriarche toujours grognon. Filmé dans un monde de bureau gris, standardisé, à la piscine et au cinéma trop pleins, Mario Monicelli orchestre un monde moderne où l’étendue des possibilités nouvelles de divertissement supplante aisément la difficulté du travail. A la piscine, par exemple, on peut ouvrir des places assises moyennant une petite pièce comme on loue un caddie au supermarché !
Au fond, ce qui aliène, ce n’est pas le travail en tant que tel, mais les règles arbitraires qui y sont accolées et l’abus de position dominante des hommes qui rôdent. C’est pas facile oui, mais pas si terrible. Un peu comme cette enseigne lumineuse qui clignote la nuit : c’est pas commode non, mais on s’y fait. L’espérance ne quitte jamais Renzo et Luciana – est-ce que c’est l’amour qui fait ça ? Lorsque le pot-au-rose est découvert, Luciana tente une ultime pirouette avant de renoncer et d’envoyer chier son patron : au diable le travail, y’en a marre de se faire traiter ainsi. Aujourd’hui, l’incertitude liée aux ruptures conventionnelles et à l’obtention du droit à l’assurance-chômage ne permet pas tout à fait d’embrasser la sérénité qui est à l’œuvre dans cette Italie des années 1960. Est-ce que l’assurance d’alors était garantie quoiqu’il arrive ? Trouvait-on du travail au coin de la rue ? Les images du tramway et de la ville nouvelle le laissent supposer. En attendant, Renzo et Luciana continuent d’être amoureux – ils ont même fait des enfants, qui sait !
Grégoire Benoist-Grandmaison
Alazar de Beza Hailu Lemma (2024)
Alazar étonne avant même qu’il ne commence : il était sélectionné à la Semaine de la critique l’an dernier ! Le moyen métrage serait-il donc plutôt un « long court métrage » ? En attendant de trancher, Beza Hailu Lemma, lui, fait ce qu’il sait faire : du cinéma. Au cœur de l’Éthiopie d’aujourd’hui, le patriarche d’une communauté meurt. Alors on l’enterre. Mais le lendemain, le corps a disparu. Certains y voient la trace d’un passage mystique, appuyés par des témoignages ayant vu passer une silhouette, qui pourrait bien être celle du cadavre. Tessema, l’orphelin, a du mal à y croire. Un mort qui serait parti se dégourdir les jambes, sérieusement ?
Aux légendes ancestrales et à l’imaginaire brumeux qui surplombe des pays africains mal connus du spectateur occidental, le film répond par la matière seule. En Éthiopie comme n’importe où sur le globe, il n’y a aucune raison d’imaginer qu’une entité divine sorte de son silence pour déplacer le corps de notre père. Étant le seul à penser ainsi, Tessema se retrouve obligé d’enquêter. La caméra suit l’homme, et cartographie par la même la beauté d’un territoire à majorité désertique : de vastes et vides étendues, un horizon lointain, les tons violets du ciel lorsque le soleil se couche. Beza Hailu Lemma propose donc peu de choses, mais il les filme avec précaution. Tessema trouve une réponse logique à son interrogation, et elle s’enracine de toute évidence dans la matière, celle du corps retrouvé à quelques centaines de mètres de la sépulture, entamé par la nature. À la différence d’un Banel et Adama qui s’accommode très bien d’un virage fantastique, Alazar refuse de telles injonctions. Rester fidèle à son identité et le territoire qu’on représente, c’est d’abord revenir à la propriété première du cinéma, cet outil infini qui arrache à jamais l’écoulement d’un bout de réel dans le temps à l’oubli assuré. Nous connaissons toujours aussi mal l’Éthiopie en sortant du film, mais nous nous en rappellerons un peu mieux.
Nicolas Moreno
Simon du désert de Luis Buñuel (1965)
Le cinéma de Luis Buñuel fut ponctué par trois périodes distinctes, rattachées aux pays dans lesquels il a travaillé : l’Espagne dès 1928 avec son Chien andalou, puis le Mexique à partir de la fin des années 1940, avant de finir sa carrière en France entre 1967 et 1977. Peu importe où l’on pioche dans sa filmographie, l’on retrouve ce malin plaisir à tourmenter le bien-pensant, à rendre visible l’immondice qui se drape les bonnes manières. À la fin de sa période mexicaine, Buñuel s’attaque au personnage historique de Siméon le Stylite, un saint chrétien ayant vécu au Ve siècle, connu pour avoir vécu seul et durant quarante ans en haut d’une colonne au milieu du désert syrien. C’est un sujet parfait pour un cinéaste (la mise en scène de la colonne propose assez naturellement un découpage des plans), surtout pour un subversif de la trempe de Buñuel, à qui il incombe alors d’imaginer à quoi pense un Saint coincé entre le Ciel et la Terre gueuse.
Les cadres en plongée pour filmer les paysans dénotent de la contre-plongée utilisée pour capturer Simon, noyé dans l’arrière-plan lissé du ciel. Ils installent un rapport, une différence de nature qui se verra confirmée lorsque le Diable essaiera de tenter le Saint, prenant l’apparence d’une femme qui dévoile ses bas. Simon lui répondra par l’indifférence. Mais la malice du cinéaste se révèle surtout lorsqu’il travaille l’ennui de son personnage. Car vu d’en haut, même les miracles trouvent une forme de banalité, et l’humanité s’avère décevante : lorsqu’un homme retrouve ses mains, il s’en va labourer son champ pour lui seul, en égoïste. Le film souffre certes de son manque de budget (et il en découle sûrement des coupes du scénario initial), mais il trouve un beau souffle dans sa conclusion et l’anachronisme potache qu’il propose. Lassé de faire le bien, écœuré par l’être humain, Simon patiente encore et toujours sur sa colonne. Quand tout à coup un avion passe dans le ciel. Cut, une boîte de nuit, au présent. La jeunesse danse sur la musique d’aujourd’hui. Au tour du spectateur de se retrouver bercé par des images banales, tandis qu’elles apparaissent à Simon comme la victoire définitive du Mal sur les valeurs chrétiennes… Saint Buñuel n’adomneste pas tant un sermon à quiconque aime s’amuser, boire ou danser : ce sont aux valeurs chrétiennes en général qu’il s’en prend, et leur dimension intrinsèquement réactionnaire, rendue évidente par la comparaison qu’offre un bond dans le temps aussi grossier. Alors si nous sommes toustes le mauvais chrétien de quelqu’un, autant l’être dans un dancing new-yorkais plutôt que seul au sommet d’une colonne dans le désert syrien !
NM
The Morning de Meis Vranken (2025)
Le Festival de Brive nous aura donné une bonne leçon : ce sont dans les formes les plus simples que les cinéastes sont les plus audibles. McCarey, Buñuel et Monicelli ne cherchent pas à dire grand chose, mais ils donnent le temps au propos d’advenir. Voilà à quoi devrait se tenir tout nouveau cinéaste. Meis Vranken fait tout le contraire : forme hétérogène (un peu de journal filmé, un peu d’essai vidéo, d’autres choses encore sans doute), montage peu lisible, univers qui part dans tous les sens… Farfelu n’est pourtant pas une qualité en soi, il faut encore savoir à quelle base l’adjectif se rattache.
Et pourtant, celle de The Morning est plutôt prometteuse : la jeune cinéaste enquête sur ses ancêtres (un projet très très original), et se retrouve sur les traces d’un métier disparu aujourd’hui, celui de « réveilleur ». Avant que l’Iphone offre à l’utilisateurice une totale indépendance et lui permette de programmer son réveil lui-même, un homme possédait le trousseau de clé de tout le village et toquait aux portes pour réveiller ses compères, voire même rentrait chez eux pour les réveiller directement dans leur chambre. Vranken fait alors preuve d’humour et transpose le principe : elle réveille les gens de son entourage, les filme au lit. L’exercice pouvait gagner en densité, par exemple lorsqu’elle réfléchit au devenir du lit lorsque le dormeur le quitte : sa température, qu’elle vérifie en glissant sa main sous des draps et qu’on imagine encore tièdes, peut-être même un peu mélancoliques. C’est profondément impudique, presque érotique. On se rappelle d’Intimité violée par une femme de Laetitia, série pornographique où la réalisatrice allait filmer des couples au lit dans une visée quasi documentaire. Mais The Morning n’arbore jamais cette radicalité, et s’arrête trop vite, aux portes de son sujet. Aveuglée par sa propre intimité qu’elle ausculte, elle manque de saisir la dimension universelle que contenaient en puissance ses images.
NM
Barking in the dark de Marie Losier (2025)
Marie Losier est sans aucun doute la plus grande cinéaste-portraitiste en activité. Voilà une réalisatrice qui a retenu les enseignements des anciens. Elle fait peu : le portrait d’un groupe de musique underground américain. Avec presque rien : le groupe The Residents étant anonyme, ses images reposent presque intégralement sur les confessions de leur manager. La force de la mise en scène réside dans sa capacité d’adaptation au sujet protraitisé, faisant alors des contraintes le point de départ du tableau. Puisqu’ils sont anonymes et qu’ils ont fait du dévoilement de leur identité leur marque de fabrique reconnue par de futurs héritiers tels Kraftwerk ou Daft Punk, le portrait partira de la place essentielle qu’occupe le visuel dans ce groupe de musique.
Outre les multiples costumes dans lesquels se sont glissés les membres des Residents, le film dérive peu à peu sur une étude de leur culture visuelle, dans laquelle leur manager a eu un rôle majeur (en adaptant l’angle, le film devient donc possible) et comment un simple casque a pu donner lieu à d’infinies reprises sur tout un tas d’objets dérivés. Barking in the dark impressionne alors par la continuité qu’il propose dans l’œuvre de Marie Losier, tout en valorisant la singularité du groupe et sa place dans l’histoire de la musique américaine. C’est peut-être ça la recette magique de Losier : accueillir toutes sortes d’artistes devant sa caméra, et faire de sa curation et sa manière de les présenter au monde le socle commun suffisant de sa filmographie. Pour le reste, laissez parler les artistes (ou leur manager quand ils sont anonymes !).
NM
Mon cœur ne bat pour personne de Diane Sara Bouzgarrou (2025)
Un revirement esthétique d’ampleur a lieu dans les dernières minutes de Mon cœur ne bat pour personne. Le film troque mystère et angoisse pour lisibilité, amour, réconciliation. Sans être au fait du synopsis, on sent bien dans les premières séquences qu’un lien relie Jeffrey Dahmer et Riccardo, le protagoniste que filme la réalisatrice. Ce lien, on n’y comprend rien. Est-ce qu’il est un proche de Jeffrey ? Est-ce qu’ils ont la même mère ? Est-ce qu’ils ont été amoureux ? Une chose est sûre, ce lien est tangible, assez pour faire douter Riccardo de lui-même, pour provoquer l’ire de sa compagnon de route. Ce que le montage obscurcit par l’alternance de vues sur Milwaukee, de l’hôtel où le meurtre a eu lieu, de bouts disparates de tentatives d’entretien, d’aller-retour entre caméra in – celle de Diana, actrice de son propre film – et caméra off – la vision omnisciente – c’est finalement le jeu des comédiens qui l’éclaircit. Lorsque Diane s’emporte, elle sonne faux. On sait que cette dispute n’en est pas une – elle sonne comme celles des voisins entre eux à la télé.
Ce qui était jusqu’alors une ambiance lourde et repoussante devient un projet lisible. Explorer les béances du désir de Riccardo ne suffit pas à faire un film, il faut un drame. Ici, ce n’est pas la voix-off qui vient mettre du liant, c’est un semblant d’histoire, un « élément perturbateur » qui « met à l’épreuve [leur] amitié » – c’est ce que dit le synopsis. Tout ce brio de montage qui égrène des fausses pistes devrait ne cesser de désorienter, nous tirer vers les abysses qui retiennent Riccardo. Les images qui se succèdent ont finalement un point de convergence, la retrouvaille entre Diane et Riccardo. Ils se touchent la main, s’embrassent. L’amitié est sauve. Se frotter à Jeffrey Dahmer, oui pour le frisson, mais s’y confronter surtout pas. Diane s’en va au moment où Riccardo dit « oui, c’est un monstre, je sais, et maintenant quoi ? ». La réponse esthétique que travaillait le tourbillon insaisissable fait d’ellipses et d’interrogations s’efface peu à peu au profit d’un tampon moral décerné par le scénario – la partie fictive du documentaire. En gros, maintenant on s’aime à nouveau et ça devrait suffire. En est-on sûrs ?
GBG
Les Habitants de Maureen Fazendeiro (2025)
Une grande simplicité parcourt Les Habitants, ça coule de source. Le montage image juxtapose des moments de vie d’une ville – habitants au travail, au repos, en balade – tandis qu’une voix-off raconte l’installation d’un camp de Roms dans cette même ville – on ne les verra pas. Si les informations visuelles n’ont rien de remarquables, ne progressent pas, viennent dans un ordre comme elles auraient pu venir dans un autre, la lecture chronologique des lettres qu’écrit le protagoniste part d’un point A – les Roms arrivent – jusqu’à un point B – ils repartent – et narrent les péripéties qui mènent de A à B. Une grande inversion est à l’œuvre : ce ne sont plus des images qui font avancer la narration, avec un fond sonore qui vient soutenir l’immersion, mais bien l’inverse. De ce défilement d’images de camions-poubelles, de maraîchers, de parcs et de routes, je tire une matière qui me fait tendre l’oreille, qui m’immerge dans le récit audio.
La voix-off était un motif récurrent au sein de la sélection 2025 du festival de Brive. Curieux ajout esthétique qu’une voix – souvent celle d’un personnage présent à l’écran – qui raconte l’invisible, les états d’âmes cachés. Était-elle nécessaire ? Si précisément la caméra n’a pas su capter l’invisible, le visibiliser par la voix est-il un aveu d’échec ? Ne sont-elles qu’un cache-misère narratif pour des montages déstructurés ? Au montage, il y a des trous, il manque quelque chose – est-ce qu’une voix off est un liant ? du sel ou du piment d’espelette ? Difficile de statuer. Dans Les Habitants, le sentiment qui domine reste celui d’une voix qui existait avant les images, de lettres qu’on n’aurait pas lues aussi bien qu’avec les bouts de la ville sous les yeux. Le passage des Roms n’a eu aucune conséquence, ils n’ont pas laissé de traces : cela valait-il tant de tracas ? Force de la simplicité : se confrontent une voix et des images, une idée fait son chemin.
GBG
Naissance d’une pierre de Camille Anker (2024)
Les pierres naissent dans la pénombre d’une forêt. Ou bien sur la route, ou dans les quelques montagnes qu’on voit au loin. Elles naissent le matin ou bien le soir, on ne sait pas bien dans la pénombre, derrière la cime des arbres qu’on aperçoit derrière le pare-brise. D’ailleurs, les pierres naissent souvent dans une voiture – dans la forêt, on n’entend que le ronronnement du moteur qui ne dépasse pas l’habitacle. Dans la voiture, la pierre est protégée, plutôt enfermée, elle n’entendra plus rien des bruissements du dehors, à part quand elle casse la croûte sur une station d’autoroute. C’est ainsi que Naissance d’une pierre nous plonge dans un univers métallique et obscur où la forêt n’est jamais trop loin du bas-côté de la route. Le décor commence et s’arrête à l’espace urbain de la transition – celui des panneaux de signalisation, des grands entrepôts qu’on aperçoit derrière la pluie, qu’on traverse en général avec une destination en tête, sauf qu’ici il n’y en a pas. D’ailleurs il y a des personnages, un homme et puis une femme. C’est lui qui lui donne à manger, c’est peut-être son père ?
Camille Anker saisit une étrangeté – difficile de trouver un mot plus précis, difficile de dire laquelle, peut-être son essence, l’ontologie de l’étrangeté. Les mouvements des deux humains qu’elle filme sont trop imprécis, ils bavent un peu. On comprendra qu’est à l’œuvre un petit appareil photo compact dont l’image est projetée puis refilmée, reformée. La chevelure hirsute de cet homme n’a l’air de pouvoir être captée que de dos et flotte devant la caméra comme les branches de ces arbres qui défilent menaçantes devant l’habitacle. Quelque chose de poisseux imprègne l’air non-climatisé de cette vieille diesel. Des indices narratifs aident à nous orienter : la discussion au téléphone de la fille avec sa mère, l’auto-stoppeur, les scènes de sexe. L’habitacle de la voiture pourrait devenir un espace symbolique pour aborder la sidération ou bien le harcèlement sexuel, mais tout est trop trouble et concret à la fois pour statuer – le spectateur fronce les sourcils, aucun échappatoire sur la route. La fille ne se soustrait au bourreau qu’à la faveur d’une décision pulsionnelle. Le vertige de la pulsion n’existe au cinéma qu’à la condition de l’existence d’un embranchement sans intervention scénaristique. La fille est là, elle pourrait rester, elle décide de partir. On aurait pu s’enliser avec elle dans cette voiture, et pourtant la voilà qui attrape un bus avant de se faire rattraper. Une pulsion de vie que rien n’appelait de ses vœux sauve un personnage au nez et à la barbe du film lui-même, voilà une sacrée chose à filmer.
GBG
Clap de fin quelques jours avant la cérémonie de clôture pour notre expérience du Festival. Nous apprendrons les résultats depuis la capitale. Le Grand Prix est attribué au film de David Depesseville, Les Tremblements. Son premier long-métrage Astrakan avait bluffé une partie de la rédaction en proposant un prolongement actualisé et bienvenu des cinémas de Pialat et Bresson. Ici, il livre une reprise plutôt grossière de La Gueule ouverte du même Maurice, avec un trio de frères silencieux (dont un joué par Bastien Bouillon) tout en grimaces et mimiques, agrémenté d’une voix-off surplombante pour traduire l’incommunicabilité des sentiments au sein de la famille – l’ambiance lourde du deuil se trouve explicitée à haute voix. Contradiction dans les termes.
Le Jury a récompensé pour sa part Comment ça va ? de Caroline Poggi et Jonathan Vinel, moyen-métrage d’animation animalier. Nous continuons de rester un brin hermétiques face à la filmographie des cinéastes derrière Eat The Night, chargée d’un spleen dont on saisit mal le déploiement. On se sent bien seul. Le public a récompensé Upshot de Maha Haj, et le Jury du Syndicat de la critique Temo Re d’Anka Gujabidze.
Le moyen-métrage a ceci d’agréable qu’il est à la fois juste assez long pour rentrer dans le lard d’un univers, pour jauger d’une patte et découvrir de nouveaux territoires esthétiques, à la fois juste assez court pour passer au suivant quand on s’ennuie, quand on devine ce à quoi on a à faire. Là où une journée de long-métrage épuise, là où une collection de court-métrage saute du coq à l’âne, deux moyens-métrages mis bout-à-bout n’a de cesse d’intriguer. A Brive, on ne se lasse pas, les yeux rivés sur l’écran du Rex, on se demande bien à quelle sauce on va être mangés.