Retour sur le Grindhouse Paradise #5

Compte rendu de festival

Après l’effervescence cannoise, revenons à tête reposée sur la dernière édition du festival toulousain Grindhouse Paradise, qui s’est tenue du 25 au 28 avril à l’American Cosmograph (Toulouse). Axés sur les cinéastes émergents et sur des territoires peu représentés, ses programmateurs Yoann Gibert et Johan Borg ont proposé comme à leur habitude un panel diversifié de ce que le cinéma de genre contemporain peut offrir, du western féministe façon rape and revenge (The Last Ashes de Loïc Tanson) au slasher surréaliste (A Wounded Fawn de Travis Stevens). Nouveau – mais pas tant puisque le festival fête sa cinquième année d’existence – rendez-vous incontournable des amateur.ice.s de bis du sud de la France, le Grindhouse Paradise est un lieu de confluence mettant à l’honneur la diversité et la créativité de l’horreur à petit budget. Cette année, le prix du public a été remis au «missile cinématographique» Hundreds of Beavers (Mike Cheslik, 2023), film muet enneigé dans la veine de Buster Keaton, où un trappeur se retrouve poursuivi par des «castors» (sous les traits de figurants en costumes).

Messe occulte

Le festival s’est ouvert en trombes sur le déjà remarqué Late Night With the Devil, une production horrifique australienne rappelant les heures de gloire de l’Ozploitation, présentée hors compétition. Habitués à la série B fauchée, les frères Cairnes signent ici une fantaisie occulte façon late-show 70’s, adaptant le dispositif de filmage au sujet, puisque le film a été tourné dans les conditions d’un (faux) talk-show américain. Se situant à mi-chemin entre Network (Sidney Lumet, 1976) et La Valse des Pantins (Martin Scorsese, 1982), les Cairnes jouent sur l’effet de sidération face aux images télévisuelles et dépeignent un enfer cathodique : seulement, le propos est-il actuel ? Outre la photographie façon filtre Instagram, les cols pelle-à-tarte, la moquette orange et autres éléments du folklore seventies passés à la moulinette d’un fantasme nostalgique (ces années soixante-dix ont-elles réellement existé ?), le cœur du film n’offre rien de bien substantiel. Pourtant, son générique monté avec des images d’archives situe l’action dans le contexte politique et social houleux des années 1970 aux États-Unis, de la fièvre occulte qui s’est emparée du pays à l’avènement de la figure du sérial-killer. Le choix de situer l’action à New York, précisément en 1977, n’est pas anodin. Mais les frères Cairnes n’en font rien, alors qu’un tapis leur était déroulé : quid du «Summer of Sam», de David Berkowitz ou de la coupure électrique du 13 juillet ayant entraîné une vague de chaos ? La performance sarcastique de David Dastmalchian aka Jack Delroy, ersatz du présentateur Don Lane, sauve la mise, ainsi que l’impressionnante possession de Lily, cousine de la petite Regan dans L’Exorciste (William Friedkin, 1973). Seulement, on aurait espéré un peu plus de profondeur, de mystère et de cauchemardesque pour ce huis-clos satanique.

Possession(s)

Le satanique était résolument au rendez-vous lors de ce cinquième Grindhouse Paradise. En témoigne le bien-nommé When Evil Lurks, premier film du réalisateur argentin Demiàn Rugna, qui semble avoir pris des notes devant Massacre à la tronçonneuse (Tobe Hooper, 1974) et sait que le climat collant, âpre, d’un film d’horreur le rend proprement terrifiant. Son récit rural de possession démoniaque se détourne de la mode de l’elevated horror – malheureusement encore trop d’actualité – en plongeant dans l’horreur pure, tranchante, sans concessions. Les effets gores et l’atmosphère plombante participent à étoffer cette histoire somme toute minimaliste, dans la lignée des Révoltés de l’an 2000 (Narciso Ibáñez Serrador, 1976), dont le film s’inspire dans son dernier acte : un infecté, habité par un démon, va propager le mal dans un village reculé, s’emparant un à un des habitants, tandis que certains essaient de lui échapper. Joyau du cinéma argentin contemporain, When Evil Lurks s’imposera assurément comme un petit classique du genre – à noter qu’il a depuis bénéficié d’une sortie en salle en France.

Horribles filiations

The Seeding (Barnaby Clay, 2023), filiation dégénérée de La Colline a des yeux (Wes Craven, 1977), mais surtout relecture fadasse et hipster dans le style A24 du classique japonais La Femme des sables (Hiroshi Teshigahara, 1964), opte pour un point de vue masculin, occultant la portée érotique et politique du film immortel de Teshigahara. Comme son titre l’indique, ce remake inavoué parle plutôt d’enfantement, thème qui a traversé bon nombre de films présentés en compétition de ce Grindhouse Paradise, de Cuckoo’s Curse (Mar Targarona, 2023), une relecture hispanique de Rosemary’s Baby (Roman Polanski, 1968), à Raging Grace (Paris Zarcilla, 2023), un récit mère-fille sur la communauté philippine en Grande Bretagne. Avec son premier long métrage, Birth/Rebirth, Laura Moss a retravaillé le mythe de Frankenstein sous le prisme féminin, explorant la problématique de la maternité. Programmé à Sundance l’an dernier, mais toujours sans distributeur en France, cette réactualisation bienvenue fait sens lorsqu’on sait que l’autrice de ce sommet du gothique, Mary Shelley, est une femme et que l’idée de la nouvelle lui est venue après une fausse couche. Birth/Rebirth est un film sur la maternité d’une finesse rare, qui plonge volontiers dans l’horreur la plus graphique, médecine oblige. Marin Ireland y incarne Rose, une technicienne de morgue glaçante, néo-docteure Frankenstein expérimentant sur la dépouille subtilisée d’une petite fille, avant d’être retrouvée par Celie (Judy Reyes), la mère de cette dernière : Rose et Celie finiront par constituer une famille homoparentale, mues par le désir commun de ranimer l’enfant.

Cibernéthique

La cinquième édition du festival toulousain était sous les auspices de la science-fiction, jusque dans le design de son affiche, conçue par Johan Borg. Tandis que The Complex Forms (Fabio D’Orta, 2023) a rejoué La Quatrième dimension en Italie, l’horreur existentielle teintée de dark sci-fi de Monolith (Matthew Vesely, 2022) a replongé dans l’atmosphère paranoïaque de X-Files. Seule séance patrimoine, Robocop, le chef-d’œuvre indémodable de Paul Verhoeven, a été présenté en Master 4k devant une salle comble et très enthousiaste. Dans la continuité de cette veine sci-fi, Molli & Max in the Future, brillante  relecture de Quand Harry rencontre Sally façon DIY, était la caution humoristique de ce Grindhouse – avec le prix du public, Hundreds Of Beavers, qui s’aventure davantage dans le burlesque. Pour son premier long, Michael Lukk Litwak a transposé l’esprit du cinéma indépendant new-yorkais dans l’espace, au-delà du temps et des dimensions. Cette dynamisation du genre de la comédie romantique, frénétique et post-moderne, découle de l’expérience cinéphage de son réalisateur pendant la pandémie. Projet hybride, il a nécessité un an et demi uniquement pour la conception des effets spéciaux. Il séduit par son authenticité, car Michael Lukk Litwak aime les films et aime en faire : assurément, les astuces de bricolage de Molli and Max l’inscrivent dans l’héritage poétique de George Méliès, prolongeant sa vision du cinéma comme machine à rêves.