Critique | C’est pas moi de Leos Carax | Cannes Première
C’est pas moi, si si c’est bien lui, Leos Carax : son nom est marqué partout sur le programme, sa tête dans toutes les bouches, son arrivée dans la salle couverte d’applaudissement, son film distribué par Les Films du Losange, sélectionné à Cannes et, nous dit Thierry, aurait pu l’être à l’officielle s’il avait daigné ajouter 20 minutes de plus. Alors pourquoi « c’est pas moi » ? Pourquoi se dédouaner d’avoir commis le film dès le titre ? Faut-il l’entendre comme une marque de modestie, une manière de mettre en avant le travail de ses collaborateurs-techniciens, un cri du cœur de l’artiste dont la création et les images l’ont dépassé ? Pourtant sa voix-off utilise comme unique modalité la première personne du singulier…
Un seul nom dans toutes les bouches : Godard. Rythme syncopé, références en tout genre, archives, voix-off du réalisateur, textes colorés et placardés à l’écran… en effet c’est pas lui, pas Carax. Ses premiers films il les doit à Jean-Yves, son dernier à Jean-Luc. Pas possible d’y voir autre chose que l’esthétique du maître reprise à son compte, pour ses comptes. C’est que la conjugaison des images de ses précédents films et leur enrobage godardien crée, de fait, de la valeur. Leos Carax esthète capitaliste. Quand Godard bricole, c’est avec des films dont la matière est défigurée, tellement triturée qu’elle n’est plus reconnaissable. Il l’intègre dans un tout, crée un autre monde, parfois doux, parfois brutal, surtout insaisissable. Carax nous vomit sa morale dessus. Il fait sa liste des salauds mais n’y inclut pas Emmanuel Macron. Il pérore sur les violences sexistes et sexuelles mais n’en comprend pas la portée puisqu’il n’en incarne jamais les enjeux – quelques phrases par-ci par-là suffiront à faire semblant. Depuis le haut de sa tour d’ivoire d’artiste à nouveau adulé, Leos lâche les mots-clés du contemporain pour être dans le coup et donner à son film un vernis politique. Grand dénonciateur !!!
Mais nous ne sommes pas dupe : ce mash-up YouTube qu’un fan-boy de Carax aurait pu uploader sur la plateforme dans l’anonymat le plus total n’est jamais rien d’autre que du recyclage. Un brin d’Annette par-ci, un bout de Mauvais Sang par-là, et oh tiens M. Merde ! Ce grand spectacle, symptôme debordien de la maladie Carax, n’est destiné qu’à flatter l’égo de ceux qui reconnaîtront les images qu’ils ont aimé, un peu comme un enfant reconnaîtrait une peluche Simba dans un étal à Disneyland, un peu comme certains autres se gargarisent de décoder la mini-apparition de tel personnage dans tel film Marvel. À bout d’idées, Carax capitalise donc sur lui-même, ou en tout cas ses images, des actifs qui lui appartiennent, et qu’il fait fructifier en cette année 2024 au Festival de Cannes. Pas con. Carax, c’est lui.
C’est pas moi de Leos Carax, le 12 juin 2024 au cinéma