Aberrant, consternant

Critique | Emilia Perez de Jacques Audiard | Compétition

Jacques Audiard fait son grand retour en Compétition avec Emilia Perez, une comédie musicale dans laquelle une avocate se retrouve à organiser la transition de genre de l’un des grands barons de la drogue au Mexique, avant de l’aider à disparaître puis de le rapprocher de sa femme et ses enfants en la faisant passer pour une cousine éloignée, reconvertie en philanthrope qui aide le pays à retrouver ses disparus. Un scénario rocambolesque donc, qui, à chacune de ses intentions, suscite quelques questions : pourquoi ? qui est intéressé par l’avis de Jacques Audiard sur de tels sujets ?

Si Emilia Perez est aussi consternant, c’est largement dû aux intentions du cinéaste, qui se passionne uniquement pour l’imaginaire des personnages et situations qu’il développe, coupé de tout lien avec le réel. Dans l’une des séquences les plus gênantes du film, le narcotrafiquant qui vient de kidnapper l’avocate lui pose des questions avec une voix de méchant, un look de méchant, des dents de méchant, et du reggaeton en fond sonore dans les voitures, parce qu’on est en Amérique centrale évidemment. Les chants et danses (plutôt pauvres d’ailleurs) prolongent et achèvent alors à la perfection les multiples images fantasmées par Audiard, en appuyant lourdement sur toutes les péripéties mises en scène.

La main balourde, le réalisateur des Olympiades perd toute forme de finesse et formule des questionnements éthiques en musique (sur la défense juridique d’un coupable, l’opinion du chirurgien sur la transition…) et les réduit à de bêtes pour ou contre. Un champ / contre-champ entre l’avocate et le chirurgien. C’est original ça tiens. Le film n’a rien pour lui, et toutes ces entreprises aberrantes ne sont même pas justifiées par le récit, dénué d’émotion, qu’il serait facile de rapprocher d’une télénovelas produite par Saint Laurent. La dramaturgie ne décolle jamais, faute de vrai. Les personnages sont en pilote automatique, et leurs décisions n’ont jamais de consistance : le narcotrafiquant a choisi une avocate pour à peu près aucune raison, Emilia Perez veut réparer le mal qu’elle a causé dans son ancienne vie en retrouvant les disparus mais jamais nous n’avons vu son personnage pris de remord, l’avocate s’implique plus que de raison dans cette affaire de famille.

Qu’est donc allé chercher Audiard avec un tel film ? Ni une histoire, ni des personnages, ni une émotion (bien qu’il essaie lourdement avec par exemple une séquence musicale où des têtes de victimes chantent sur fond noir et forment une constellation façon restos du coeur), ni un bout de réalité (le film a d’ailleurs largement été tourné en studio à Paris). Sûrement une nouvelle incarnation virile de son rapport à la famille. Car chez Audiard, les mamans ne sont jamais aussi bonnes que lorsqu’elles sont en fait des papas.

Emilia Perez de Jacques Audiard, au cinéma le 28 août 2024