Édito | Festival de Cannes Jour 10
À défaut d’être de qualité, cette compétition cannoise était-elle politique ? Oui, par son sexisme, mais encore. Cate Blanchett a monté les marches pour The Apprentice avec une robe qui reproduisait le drapeau palestinien, mais encore. Les Graines du figuier sauvage existe, mais encore. Qu’est-ce qu’on attend de politique d’une salle de 2 500 sièges et 24 marches étouffées sous un tapis rouge ? Des discours fusent dans tous les sens, reprochent le manque total de courage de certaines stars, critiquent celles et ceux qui produisent signes et symboles en leur demandant encore plus. Mais qu’est-ce que cela signifierait d’être encore plus politique pour Cate Blanchett et Mohammad Rasoulof ?
Le Festival de Cannes a pour coutume de faire cohabiter les deux mondes, les paillettes de la haute couture et la sueur des cinéphiles, les yachts et les TER à 2,70€ le trajet. Il semble utile de rappeler que le Festival connaît un écho à échelle variable dans la société : les cinéphiles sont plus informés que les non-cinéphiles, cela va de soi. Les non-cinéphiles n’iront pas voir les 2h28 mais retiendront une robe ou un slogan, les cinéphiles iront voir le film et rouspèteront face aux objets non-cinéphiles, et les moutons sont bien gardés.
Au-delà de cette dichotomie, dans les salles du Festival règne une ambiance unique (en France). Les films ne sont pas vus de la même manière à Cannes qu’ailleurs dans le pays : on applaudit, on hurle à l’apparition du nom de toutes les personnes qui financent le film (Arte, Canal, même Netflix…), on applaudit pendant 20 minutes les cinéastes présents dans la salle… et on applaudit pendant le film lors d’une scène ou réplique « forte ». On se croirait aux États-Unis : une femme badass tue un homme méchant, bravo clap clap ; un dialoguiste a bien fait son travail (le rat de The Surfer), bravo clap clap clap, etc ad nauseam. Le pire arrive lorsque les petits malins se rendent compte qu’ils ne sont pas tout seuls et font la course à celui qui lancera le meilleur happening (désolé, Coppola vous a tous doublé). Durant la première mondiale des Graines du figuier sauvage, les applaudissements avaient, de fait, un goût et un sens différent, plus profond (l’Iran a condamné Rasoulof a huit ans de prison et il a quitté secrètement le territoire pour présenter le film à Cannes). Une femme derrière le cinéaste avait préparé un symbole (en couverture de cet article), prêt à surgir lorsque la caméra se braquerait sur eux. Bravo, clap clap. La fille tire dans le sable, crée une crevasse qui engloutit son père et le tue par ricochet (le ricochet, voilà le sujet de ce film), et la salle applaudit. Bravo, clap clap clap.
Il ne faudrait peut-être pas trop prendre au sérieux le Festival, et rappeler qu’il est avant tout un rendez-vous professionnel, utile aux producteurs pour produire des films, aux distributeurs pour les distribuer, et aux critiques pour les critiquer. Le reste est secondaire. Le reste est politique dans les mesures qui sont les siennes : des symboles millimétrés pour toucher les masses à travers les réseaux sociaux, et des films confectionnés pour des spectateurs plus ou moins cinéphiles. Les films et les symboles n’ont jamais changé le monde ; à peine soulagé la conscience de quelques occidentaux idéalistes.