Où sont les scènes ?

Édito | Festival de Cannes Jour 5

Pas d’édito pour le quatrième jour, nous étions trop occupés à regarder des films. À chercher des scènes. Mis à part les cinéastes de génie que nous connaissions et retrouvions (Andrea Arnold, Paul Schrader et Francis Ford Coppola, bien qu’il divise la rédaction), le jeune cinéma s’est montré peu gourmand en scènes qui durent, qui se tiennent pour elles-mêmes, dont on se rappellera et s’échangera le souvenir. Dans Vingt Dieux par exemple, Louise Courvoisier introduit son jeune acteur à l’aide de la musique du Limousin. Stupéfaction, plaisir à voir un tel jeu au cinéma ! La scène ne dure que quelques secondes, on filme de dos au moment de se foutre à poil. Dans Everybody Loves Touda de Nabil Ayouch, le marocain met en scène une Cheikha (chanteuses traditionnelle de textes à forte teneur érotique, brimées depuis plusieurs siècles) en choisissant de multiplier les interprétations plutôt que de se concentrer sur une. On nous offre tout un répertoire musical, une carte postale sonore prête à l’emploi, mais d’aucune mélodie ou scène nous nous rappellerons… À l’exception du plan séquence final, qui est un plan séquence car il est final et vice-versa… Notons au passage que la presse recense finalement peu de plans séquences impressionnants cette année, une tendance qui elle aussi présente de nombreuses questions esthétiques d’ailleurs. Les cinéastes choisiraient-ils de tout donner dans les dernières minutes du film avec l’espoir de laisser bonne impression ?

Heureusement non, et les films de ce samedi 18 mai prouvent le contraire (et font encore une fois chavirer le plan originel de l’édito !). Deux merveilleux films ont fait éclater cette mortifère malédiction qui commençait à poindre. Dans Black Dog, Hu Guan recourt à une palette restreinte d’effets, mais à la perfection. Plans à majorité fixe, un panoramique sert à faire entrer et sortir les différents personnages et animaux du cadre, à renvoyer en hors-champ la violence, la fixité prenant acte d’une force supérieure contre laquelle cet homme en proie aux chiens de la ville ne peut rien. Et puis il y a eu Les Reines du drame d’Alexis Langlois. Un film plein de désinvolture, qui envoie se faire foutre toutes les cases que l’on attend normalement d’un premier film pour réaliser directement un classique plein de vie, rempli de personnages, composé de mille et unes scènes mémorables : les musiques principales du film, les apparitions de Bilal Hassani, les scènes-miroir de tout un imaginaire queer et 2010….

D’ailleurs la citation, parlons-en. Si c’est aussi génial chez Langlois, c’est parce que la citation fait office de subversion : la culture queer vit, s’auto-alimente et évolue à travers ce principe. Prenez un défaut physique, un souvenir honteux (huit années de free jazz), une image qui a marqué une génération (Britney qui se rase le crâne), reconstituez la scène, faites passer la pilule. Ce que le film a de plus magnifique à offrir, c’est son regard sur les débuts d’Internet, où l’on était toutes et tous cringe (qui assume encore son Skyblog ?), harcelé et/ou harceleur (Jeremstar). Les Reines du drame regarde cette époque déjà lointaine, et lui pardonne. La société évolue, Internet aussi, passons à autre chose. Passer à autre chose : ce que ne fera jamais Dupieux en citant les filmographies de ces acteurs et actrices, ce que ne fera jamais Furiosa non plus, c’est tellement plus facile de citer les anciens films de la saga pour émouvoir plutôt que de créer une nouvelle imagerie…