Ok Darwin

Critique | Amrum de Fatih Akin | Cannes Première

À l’instar du pot de lait que Nanning (Jasper Billerbeck​​) fait tourner sans ne rien renverser grâce à la force centrifuge, Amrum tourne sur lui-même et n’éclabousse rien du tout. Nanning vit sur l’île d’Amrum avec sa mère Hille, sa tante et ses frères et sœurs depuis qu’il a déménagé d’Hamburg pour fuir les bombardements des Alliés. Seul homme de la famille suffisamment fort pour aider sa mère enceinte jusqu’au cou, il survient à leurs besoins en travaillant pour une agricultrice locale qui le fournit en crèmerie en échange de ses services. Suivant une structure narrative traditionnelle, le beurre vient à manquer lorsque Hille, férocement embrigadée dans l’idéologie nazie, délate sa patronne pour traîtrise (avoir simplement prononcé la possibilité d’une fin de guerre imminente). Nanning est alors mis à la porte pour avoir cafardé (il a seulement demandé si son père allait bientôt revenir du front). La mort soudaine d’Hitler a pourtant cristallisé chez sa mère – qui en a même accouché sous le choc – un désir d’une tartine de pain blanc au beurre et au miel, luxe dont elle fait une question de survie en refusant de s’alimenter d’autres choses. Commence alors une quête pour Nanning : du beurre, de la farine blanche, et du miel. Pour obtenir ces trois ingrédients, il lui faudra troquer.

Compter pour du beurre

Se met en place un circuit économique entre terre et mer où le poisson pêché devrait servir pour récupérer le beurre (« monnaie locale » comme les personnages l’appellent), du sucre pour le miel, du travail pour du poisson. Seule la farine est gracieusement octroyée comme « médicament » par le médecin du village. Même son oncle lui demande de réciter le discours des jeunesses hitlériennes pour lui céder sa demande, ne distinguant pas les nazis de la population locale silencieusement non ralliée, alors même que les membres du parti ont eux accès au système de bons (jusqu’à ce qu’il s’effondre avec le régime, rendant obligatoire le travail pour tous). Le trajet narratif reste aussi plat que l’île, les différents obstacles que le jeune homme rencontre (vol par des réfugiés polonais quelque peu questionnable d’un point de vue raciste même si ils deviennent gentils à la fin, marée montante sur l’estran, œufs d’oies déjà fécondés) plonge alors le film dans une facilité scénaristique qui n’apporte rien que des révélations bâteaux à propos de la méchanceté de ses parents, ou alors l’érige comme prévu en petit héro bien courageux.

L’homme est un loup pour l’homme (oui merci)

Systématiquement, schématiquement, chaque étape se clôt sur un épisode de pure violence (découverte d’un cadavre recraché par la mer, évidement d’un lapin, suicide de l’oncle, foetus d’oie mort…),  et aboutit directement sur la fin de la quête : son petit frère a englouti la tartine dans son dos pendant qu’il pleurait sur le refus de la manger de sa mère, méfait découvert au moment où celle-ci avait enfin fini par accepter de la reprendre. Il se met alors à lui donner des coups de poings au visage, sur cette petite face si angélique. On repassera pour la subtilité de l’écriture.

Documentaire animalier pour les nuls

Reste cet étrange montage aux plans de coupe très vagues (littéralement), avec des plans zoomés sur la faune et la flore de l’île, rapprochant étrangement le système  économique des habitants à l’écosystème naturel. Plan sur des oiseaux qui copulent, qui déterrent des vers, couteaux qui se cachent dans le sable, abeilles qui butinent et autres insectes tels qu’on peut les voir sur France 5 l’après-midi. Essaie-t-il de nous faire comprendre que les humains sont des animaux comme les autres, fonctionnant organiquement à leur manière avec le troc et l’argent ? Pour au fond dire quoi ? Que les nazis étaient des parasites venus s’imposer aux écosystèmes locaux ? Ok Darwin. Il serait peut-être judicieux de troquer sa casquette de biologiste ou de professeur d’histoire pour celle de réalisateur désormais.

Amrum de Fatih Akin, le 24 décembre au cinéma