Critique | Drunken Noodles de Lucio Castro | ACID
Dans le grand tumulte des séances cannoises, les festivalier·es savent qu’iels peuvent, au détour d’une projection, trouver des films comme iels trouvent des respirations, des moments de calme et de tranquillité bienfaiteurs. Drunken Noodles de Lucio Castro, présenté à l’ACID, fait partie de ces films. Découpé en trois chapitres et un épilogue, avec leurs titres annoncés par un dessin en train de se faire au point de croix, Adnan est un jeune étudiant qui fait des rencontres artistiques, érotiques, et souvent les deux ensemble. Dans la première, il découvre New-York, entre deux passes avec des livreurs à vélo et son stage en galerie d’art pour une expo d’un artiste qu’il connaît « très bien ». Dans la deuxième, une crevaison de vélo en forêt lui permet de rencontrer l’artiste qu’il va « très bien » connaître, un vieil homme ermite qui tisse des tableaux aux personnages pratiquant le BDSM (le même vieil homme qui nous tisse les titres des histoires donc). Et dans la troisième, Adnan et son petit ami partent en week-end dans un AirBnB en forêt, et tentent de reconstruire leur couple à la dérive.
Peu importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse
Il y a indubitablement du Alain (Guiraudie) qui rencontre Kelly (Reichardt) dans Drunken Noodles, dans cette lente et drôle circulation de ce désir amoureux en milieu forestier et urbain. Les plans sont larges, dans un 1:33 qui renforce leur aspect pictural (surtout en forêt). Le rythme est lent, le piano jazz de Robert Lombardo donne aux films des airs de ballades, et l’épure des dialogues renforce les nombreux gags, jeux de mots et situations insolites qui se nichent dans les relations d’Adnan. Tout se joue dans un silence, un regard mutique, le son d’une flûte qui résonne dans les bois et qui met les sens en éveil. Le film contient d’ailleurs l’un des dialogues les plus drôles de ce festival : après une passe dans un parc, Adnan crache le sperme de son partenaire dans l’herbe, occasionnant un « – Do you want a gum? – … – Do you want to cum ? – … Excuse me, did you say gum or cum ? – Both… ».
De fil en aiguille, le film tisse un lien tenace entre les pérégrinations charnelles et la sensibilité à l’art. Chaque rencontre d’Adnan propose sa déclinaison artistique, un instant sublime qui lui est offert. C’est le recueil de poèmes que les livreurs à vélo lui offrent après la partouze de la première histoire (filmée d’ailleurs comme dans My Own Private Idaho de Gus Van Sant, les corps figés en plein ébat), l’apparition onirique en forêt d’un satyre au long appendice durant la nuit de la deuxième histoire, le compagnon d’Adnan qui recrée un souvenir d’enfance raconté plus tôt pour réactiver la sexualité du couple dans la troisième.
Et ce sont, en filigrane, les tableaux du vieillard, projections de fantasmes, détournements d’une imagerie de pop-culture rendue à la communauté LGBTQIA+ : le tableau naughty boy, qui représente un Pinocchio qui bande de plus en plus quand il ment. Drunken Noodles s’offre aux spectateur·ices comme une inspiration poétique, une méditation drolatique. Adnan devient, le temps de trois histoires, le réceptacle de syndromes de Stendhal de slow cinema. On en sort le cœur léger, ouvert et le regard aiguisé.
Drunken Noodles de Lucio Castro, prochainement en salles