Enfumer les idoles

Critique | Love on Trial de Kôji Fukada | Cannes Premières

Alors que le film s’ouvre sur un concert de J-pop d’un girls band dénommé Happy Fanfare, un premier contrechamp sur la foule détonne : elle est uniquement composée d’hommes. Les sticks lumineux qu’ils balancent en rythme revêt alors une symbolique phallique qui explicite d’emblée la sexualisation extrême à laquelle sont sujettes ces jeunes femmes, alors même qu’on cultive pour elles une image kawaii, à l’instar de leur avatar de manga. Kôji Fukada ne fait pas un film choral et choisit de s’attarder sur la leader du groupe (car la plus populaire à cet instant précis), Mai (Saito Kyoko), en perte de vitesse. Car ce n’est pas seulement l’industrie de la musique que Fukada explore mais également les rouages de l’usine en tant que telle, puisque les idoles s’attèlent à un travail à la chaîne (danse, signature, serrage de main, chacune dans son petit compartiment).

Lors d’un rendez-vous de groupe (pour camoufler une rencontre amoureuse entre une des filles et un Youtubeur, puisque le contrat d’idole stipule le célibat obligatoire), Mai rencontre un mime, Kei (Yuki Kura), qui se donne en spectacle dans une allée d’un zoo (où ce sont les animaux qu’on regarde, et pas elles, explicitant clairement leur sensation d’être mises en cage). Scène de reconnaissance au travers d’un masque, le mime est un ancien camarade de lycée, dont la performance scénique, libre de tout producteur, sans le sous, produit bien plus de magie que les chorégraphies maintes fois répétées et le playback (le mime donc) de chansons à la profondeur d’un pédiluve. Cette indépendance la conquiert définitivement et cède finalement à son cœur à la suite d’une attaque, lors d’une convention, perpétrée par un régulier dont les filles connaissent le prénom et la couleur préférée, fan profondément outré de ce que Kanaka(?) a eu une liaison (révélée au grand jour contre son gré, risquant sa carrière). S’ensuit alors un procès : l’agence lui réclame dommage et intérêt pour n’avoir pas respecté une clause de son contrat.

Fukada, avec une très grande simplicité, dépeint un système de coercition capitaliste qui fait de l’innocence et de la virginité une nouvelle forme de prostitution. Les idoles ne peuvent aimer car elles doivent être aimées, appartenir à leur public, uniquement à leur public qui leur donne précisément ce statut. N’appartenant à personne, elles appartiennent à tout le monde. Surtout, le désir qu’elles suscitent réside justement dans leur absence de sexualité. La force d’écriture du film tient de ce parallèle implicite créé par la présence de ce mime qui est complètement hors de cette économie du spectacle, ailleurs, quelque part dans les débuts du cinéma (comme le glisse l’hommage à La Strada et à Yo-yo) et qui demande à être payé au chapeau. Et c’est justement lorsqu’il signe un contrat avec un organisateur de mariage que la scission s’opère entre lui et Mai.

Mime d’une société japonaise qui s’enferme dans une bulle virtuelle, dans une bulle financière. Kei se battait contre l’absurdité du système qui empêchait les idoles d’aimer, au point de se coller contre une véritable fenêtre (et non pas simplement pour faire semblant cette fois) pour interpeller des amants s’abandonnant. Kei mimait un double-vitrage derrière lequel Mai ne l’entendait pas lorsque celle-ci tournait un live pour les réseaux sociaux, incapable de ne pas essayer de faire fructifier sa communauté. Et pourtant la dynamique s’est bel est bien inversée, Kei se laisse rattraper par le besoin de gagner de l’argent. Mei, elle, préfère voir le soleil s’envoler comme le ballon de Kei, qui l’avait tant ému lors de leur première rencontre, et, comme lui, transmettre des étoiles dans les yeux des enfants.

Love on Trial de Kôji Fukada, le 4 février 2026 au cinéma