Critique | Un simple accident de Jafar Panahi | Compétition (SO)
On l’a entendu et répété durant cette première semaine de compétition cannoise : le thème de cette édition serait l’amputé et/ou le mutilé. Sirat, Sound of Falling, L’Agent secret, Dossier 137, Deux Procureurs, Alpha, et maintenant Un simple accident de Jafar Panahi, douzième film du cinéaste iranien. L’amputé en question est ici le déclencheur même de l’intrigue du film : après un accident de voiture dans lequel le conducteur percute un chien, un garagiste nommé Vahid pense reconnaître son ancien tortionnaire Eghbal, surnommé la « guibole » (il a un boitement à la jambe caractéristique). Vahid l’assomme à la hache, le kidnappe, et au moment de l’enterrer vivant dans le désert, Eghbal réussit à le faire douter : est-ce bien son tortionnaire?
En attendant Guibole
De cette trame aussi simple que son titre, Jafar Panahi va dérouler sur 1h45 ce qui s’apparente à une pièce de théâtre filmée. Que ce soit par la direction d’acteur·ices et leur manières de se mouvoir face à la caméra dans les décors, tout rappelle la scénographie d’une pièce de théâtre de l’absurde. Beckett et son En attendant Godot (1952) est clairement cité, et il y a une tension certaine dans cette idée de possible exécution sommaire si le tortionnaire est reconnu, conséquences violentes de cette justice faite soi-même. Après la séquence du désert, nœud d’intrigue cornélien qui va lancer le reste des péripéties, Vahid cherche des preuves à travers d’autres victimes de son bourreau, une photographe, une jeune mariée et un autre ami surexcité. Autant de potentiels témoins à charge (qui avaient pourtant les yeux bandés), représentatif d’un panel de la population iranienne, dans un procès qui essaye de se faire le plus juste possible, ne pas sombrer dans la même déshumanisation que celui qui a torturé en premier.
Ce choix d’esthétique théâtrale, mise en scène en tableau fixe et sur-régime d’un jeu criard, crée un paradoxe de cinéma assez étrange, qui interroge : d’une sécheresse de l’intrigue, voilà que nous sommes mis face à une grandiloquence, un « moment » de cinéma conscientisé, comme si Panahi voulait prouver un quelconque talent de metteur en scène. En résulte ce plan séquence symptomatique sur Eghbal, dans lequel il est gentiment torturé par Vahid et Shiva la photographe. La performance de l’acteur qui hurle qu’il « regrette », avec lumière rouge symbolique s’il vous plaît, prend finalement le pas sur l’horreur qui se joue dans les dialogues. En faisant Un simple accident, Panahi nous a finalement proposé un film trop écartelé entre simplicité ludique de l’intrigue, sous-performance de la caméra et sur-performance de l’acteur.
Un simple accident de Jafar Panahi, le 10 septembre au cinéma