Critique | Vie privée de Rebecca Zlotowski, 2025 | Hors Compétition (SO)
« Psycho Killer / Qu’est-ce que c’est ? » chantent les Talking Heads à l’ouverture de Vie privée. Tueur psychotique ou tueur de psychée serait une subtilité grammaticale lacanienne que tente finalement d’élucider Lilian (Jodie Foster), psychiatre psychorigide, dont la patiente Paula (Virginie Efira) vient de se donner la mort, laissant derrière elle une mystérieuse ordonnance trafiquée a posteriori, qu’elle lui avait prescrite. Thriller directement héritier d’Hitchcock, le film pousse la veine psychanalytique jusqu’à l’interprétation des rêves, qui permettraient de comprendre le nœud du crime, s’il existe.
Petits complots en famille
La rationalité et l’implacable logique de Paula finissent par se retourner contre elle : elle ne peut (veut) pas croire à la piste du suicide puisqu’elle n’a jamais décelé chez sa patiente la moindre pensée allant dans ce sens : ça ne peut donc qu’être qu’un meutre. La première partie du film dépeint alors le glissement progressif du personnage dans la peau d’une héroïne de film policier en pleine enquête déclenchée par la fille de Paula qui ne cherche qu’une chose, légitimement, comprendre. Le parallèle entre psychanalyse1 et investigation criminelle (déjà présent chez Hitchcock) est intensifié jusqu’à la parodie, forme d’autodérision d’une pratique de bonne femme quelque peu charalatane au même titre que l’hypnose, ici d’une plus grande efficacité dans ses résultats que l’analyse. Son ex-mari (Daniel Auteuil) rentre dans son jeu, élémentaire mon cher Watson : en complète empathie, il se prend à l’aventure, il veut la suite ! Mais lors d’un repas de famille avec leur fils et sa femme, la bulle subjective se dégonfle et laisse place à la forme de folie qui touche Lilian. Ce qui est alors intéressant est que l’hystérie qu’on pourrait lui prêter ne ressort pas d’une forme de misogynie mais d’une tendresse profonde envers son personnage qui perd pied sans tout à fait avoir tort (le mari a bien une autre vie, mais il s’avèrera que Paula en était consciente).
Psycho trope
Zlotowski, presque en hommage à Lynch, pousse la psychanalyse dans ses retranchements en faisant du rêve le lieu où le crime peut être élucidé. L’inconscient sait tout, comprend tout. Comme la chorégraphie du policier dans Twin Peaks dans laquelle chaque geste permet de transmettre un code caché à celui qui en à la clé, se moquant du spectateur lynchien qui s’aventure sur le terrain de la rationalisation, le rêve halluciné de Lilian, déclenché par l’hypnotiseuse, est l’arbre de sa patiente qui cache la forêt de ses propres problèmes. L’image absente qui surgit d’abord avant de se muer en salle de concert est celle d’une mère et ses enfants dans la neige. Encore de la neige. Encore la faute des mamans ? Nul trauma, seulement un rappel à l’ordre de ce dont elle passe à côté en se mettant constamment à distance de ses propres émotions : la joie d’aimer ses enfants et d’être là pour eux, ce qu’elle semble avoir elle-même vécu dans cette image qui la tourmente, non pas parce qu’elle est affreuse mais parce qu’elle est heureuse. Il n’y a pas que les mauvaises images qui font mal.
Sur écoute
Lilian entend tout, voire trop, jusqu’à ses voisins festoyant à l’étage. Le montage en bribes suggère que les mots lui passent littéralement au-dessus du crâne, cadrée par au-dessus, enchaînant les consultations sans queue ni tête. Refusant la remise en question, Lilian ne peut être l’oreille attentive qu’elle voudrait être. Redoubler la consultation en enregistrant les séances sur des cassettes audios à bande passante constitue une diminution du réel : vouloir et pouvoir tout savoir de ce qui a pu se dire c’est se priver du travail de la mémoire et truquer le dialogue en ne lui laissant pas la possibilité d’être oublié. Si Lilian n’a pas entendu la détresse de Paula lors de sa dernière séance, c’est parce que ça faisait longtemps qu’elle ne s’était pas écoutée elle-même, obnubilée par son travail. S’écouter est une enquête. Alors, il faut savoir lever les yeux et regarder les arbres depuis sa fenêtre.
Vie privée de Rebecca Zlotowski, le 26 novembre 2025 au cinéma
- Elle se considère comme psychiatre et prescrit des médicaments alors qu’elle n’est pas habilitée en tant que psychanalyste. ↩︎