Critique | Amour de Dag Johan Haugerud, 2025
Nouveau mercredi, nouveaux personnages, nouveau film dans la trilogie d’Oslo de Dag Johan Haugerud. Après les Rêves de Johanne de la semaine dernière, voici les Amours de Marianne et Tor. Respectivement médecin et infirmier, ils travaillent ensemble en hôpital, et discutent fréquemment de leurs relations amoureuses, surtout lorsque ces derniers prennent le même ferry pour rentrer sur la ville d’Oslo. Marianne s’interroge sur un date arrangé qu’elle a passé avec Ole via sa meilleure amie Heidi, et Tor flâne d’aventure en aventure sans lendemain, jusqu’à sa rencontre avec Bjørn. Marianne et Tor sont sur un bateau : qui tombera à l’eau ?
Theatrum Mundi
Avec Amour, Dag Johan Haugerud fait entrer pleinement une nouvelle donnée formelle dans sa trilogie : la ville d’Oslo. Jusqu’alors toile de fond, elle est désormais épicentre de l’histoire des personnages, et devient un espace de projection. « Je vous propose d’aller sur le toit, pour contempler la vue » annonce Ole dans le premier tiers du film, avant de discourir, en bon géologue, sur les différentes roches qui composent et façonnent le paysage de la capitale norvégienne. C’est devant une maquette réduite de la ville que Marianne et Ole s’embrassent pour la première fois, les mains jointes sur le centre-ville. Plus tard, la ville apparaîtra dans l’encadrement de la fenêtre de la chambre d’Ole, carte postale bienveillante sur le couple se calinant. Avant ça, le spectateur a déjà observé Heidi faire une visite guidée de l’Hôtel de Ville, avec une interprétation de ses statues comme représentation homosexuelle offerte à la vue des passants. Voir la ville et savoir y vivre est une question aux multiples réponses et points de vue, qui s’accorde avec son temps et ses habitants.
En filmant ses personnages au diapason de l’environnement urbain, le cinéaste réactualise dans le contemporain ce qu’accomplissait déjà Eric Rohmer quand il filmait les aventures de Blanche et Léa à Cergy Pontoise dans L’Ami de mon amie (1987) : la ville devient un échiquier amoureux, une circulation des désirs dans laquelle Marianne peut librement « rouler une pelle au géologue, avant de se taper le charpentier ». La place qu’a le ferry au sein de ce macrocosme constitue en soit un sommet de mise en scène de l’hétérotopie des rencontres. Petit espace neutre éphémère en mouvement, qui oblige paradoxalement ses occupants à la fixité et à l’attente, il offre une occasion pour Marianne de discuter de sa légitimité à aimer et à entrer en relation avec quelqu’un, pendant que Tor en profite comme d’un espace de jeu, en cherchant par la proche géolocalisation de Grindr ses matchs, et voir ce qu’il se passe. La trajectoire de Tor dans les différents espaces qu’il traverse est en cela touchante : c’est lorsqu’il sort du ferry, qu’il rencontre Bjørn, un psy atteint du cancer du pancréas (qui n’a plus de libido, le plaisir anal lui étant retiré), que son empathie s’accentue et que se construit son rapport amoureux. Là où Tor était dans un rapport aux autres proches du cruising, tirer un coup vite fait, sa rencontre avec Bjørn devient une relation construite sur la tendresse et le soin porté à l’autre.
Avec Amour, Dag Johan Haugerud célèbre cette fois l’acte amoureux par le dialogue, par le plaisir d’entendre des voix discourir, s’accorder, se comprendre. Le film s’ouvrait sur un problème d’écoute, de compréhension (un patient qui ne comprend pas le discours de Marianne sur le cancer dont il est atteint), et se clôture par un orchestre jouant un concert public sur le toit de l’Hôtel de Ville d’Oslo. La partition que l’on a écoutée pendant deux heures est harmonisée, et le cuivre clair filmé durant le générique annonce l’été, magnifique métaphore d’une Marianne et d’un Tor enfin rayonnants.
Amour de Dag Johan Haugerud, en salles le 9 juillet 2025