Critique | Bâtiment 5, Ladj Ly, 2023
Emmuré entre deux vues aériennes d’un bloc massif de logements sociaux de Montfermeil, le nouveau film de Ladj Ly, Bâtiment 5, répond en miroir à la campagne électorale qu’il met en scène : un énorme clip de son engagement politique, un tract dessiné par un collectif d’artistes bénévoles qui pensent que faire porter la voix de ceux qu’il représente c’est faire étalage publicitaire de son image publique de cinéaste engagé. Pour assurer le financement de son prochain film ?
À chaque bâtiment son maire, et quand le premier est détruit dans un spectacle trop rapide pour nous saisir, le septuagénaire coquardé, lui, voit son cœur s’arrêter sous le coup de l’émotion. Pédiatre, Pierre Forges (Alexis Manenti) se retrouve alors propulsé par un montage assertif et le siège du parti (qui ne pense qu’à gagner les élections pour les instances parisiennes) à la place de maire par intérim, au lieu de Roger, adjoint du précédent élu, né dans la cité et jouant désormais le rôle d’intermédiaire semi-mafieux entre les pouvoirs publics et les populations parquées dans leurs barres aux doux noms fleuris.
Contrairement à deux autres films sortis cette année, qui font de la cité un lieu habité par la poésie de ses habitants (Le Gang du Bois Du Temple) ou un terrain de jeu propice à l’imagination science-fantastique (La Gravité), Bâtiment 5 n’adopte encore une fois que le point de vue du drone qui fond sur son sujet comme un vautour (contrairement à l’ouverture panoramique depuis l’intérieur, l’intimité de la cité de Gang…) ; la cité se construit alors comme un écosystème de surveillance qui fait écho aux mesures prises par le nouveau maire, relatives à la liberté de déplacement des mineurs, de sorte que le film épouse le regard du pouvoir qu’il prétend combattre, empêchant toute forme de subversion. On ne peut alors répondre que par le militantisme mou d’Haby Keita, bénévole d’une association d’aide au logement et l’ultra-violence incarnée par son petit ami Blaz. Au-delà des poncifs bavards sur la précarité de ces habitants (comme les ascenseurs ne fonctionnent plus, on descend un cercueil dans une cage d’escalier trop étroite, et au lieu de laisser l’image s’exprimer, Ly force les dialogues à la description redondante), la mise en scène surplombante enchaîne les saynètes démonstratives qui fonctionnent comme une liste d’un manuel type La Banlieue pour les Nuls à usage des néo-géo-politiciens b-f-m-isant. Ce principe de mise en scène se cristallise dans un montage alterné douteux qui montre les débuts en politique de Haby, la stagiaire pas calmée par ses archives de la mairie, et le maire intérim en campagne pour sa ré-élection. La première, qui connaît déjà tout le monde, essaie de convaincre de l’importance d’aller voter quand l’autre fait la tournée des marchés. Si ce montage semble souligner la proximité réelle de Haby avec les habitants lorsque celle de Pierre n’est que mise en scène, il crée surtout un parallèle malvenu qui réduit la politique à du copinage et de la démagogie.
Mais le réel problème de sa prise de position politique intervient dans l’écho malheureux de deux scènes d’incendie : en passant devant un panneau d’architecte faisant montre du futur complexe immobilier qui va se construire derrière la barrière, Blaz met le feu à l’image et la contemple fasciné, avec Haby, pendant que brûle la pancarte de ce projet fumeux. Est-il alors vraiment surprenant qu’un départ de feu dans un restaurant clandestin abrité dans un appartement donne un motif d’expulsion du bâtiment au maire qui voulait détruire le lieu devenu trop insalubre et donc un gouffre financier, sous couvert d’évacuation pour motif de sécurité ? Comme si par transitivité les deux jeunes gens devenaient les responsables de l’inconséquence d’une politique publique d’austérité, dans une croyance de l’ordre du vaudou. Dès lors, à qui font vraiment mal les images de Ly, si ce n’est à la cité qu’il prétend défendre ?
Bâtiment 5 de Ladj Ly, sortie le 6 décembre 2023